Tunisie – Environnement : La nature se révolte contre les abus de l’homme dans le sud tunisien

Par : TAP

Les images de maisons englouties par le sable dans des villages à Kébili, véhiculés par les médias, ont choqué de nombreux Tunisiens. Pourtant, depuis des années, l’ensablement n’est pas une menace fantôme, dans les régions sud de la Tunisie.

Onze (11) gouvernorats sur les 24 que compte le pays sont menacés par la désertification, dont les plus exposés sont Kébili et Tozeur, selon le ministère de l’Agriculture.

tourisme-kebili-680.jpgLe sud tunisien, qui couvre près de 50% de la superficie totale de la Tunisie (environ 80.000 km2), est soumis depuis plusieurs décennies à un grave mouvement de désertification et d’ensablement, affectant fortement les écosystèmes naturels, réduisant la production agricole et pastorale et provoquant d’importantes vagues d’exode et d’émigration des habitants.

Désertification: perte de 11.000 ha de terres productives par an

La Tunisie est aujourd’hui touchée par la désertification, sous ses différentes formes (érosions éolienne et hydrique, salinisation des sols, hydromorphie et ensablement).

L’ensablement constitue l’une des manifestations les plus spectaculaires du phénomène de la désertification dans le sud tunisien. Selon des données de la Directiong énérale des forêts (DGF) au ministère de l’Agriculture, il touche à l’heure actuelle un territoire qui couvre plus de 64% de la superficie du pays, soit plus de 10 millions d’ha. Les dunes de sable y occupent déjà plus de 2 millions d’ha.

Actuellement, 24,6% du territoire tunisien (en dehors du sud tunisien) sont affectés par la désertification, dont 34,2% sont des zones moyennement affectées, 18,3% sont très affectées et 22,9% sont des zones désertiques. Au total, la superficie désertifiée atteint les 106.200 km2.

Ce fléau entraîne la perte annuelle de presque 30.000 ha de terres dont 11.000 ha sont des terres productives.

La nature profite des excès de l’homme

Alors que le sable avance à un rythme de 4 mètres par seconde en fonction de la vitesse du vent, les citoyens dans des localités menacées telles que Nouail à Kébili refusent, depuis la révolution, toute intervention de l’Etat pour bloquer cette avancée du sable par les moyens habituels ou même entretenir les ouvrages déjà en place, qui sont souvent des “tabias”, appelées en jargon local “El Ammi”, lesquelles doivent régulièrement être rehaussées par les feuilles de palmiers.

Des habitants considèrent que ces techniques, entreprises depuis presque les années 70 par les services agricoles pour protéger les ouvrages publics (routes, chemins de fer…), ne sont plus efficaces. D’autres veulent tout simplement exploiter les terres à leurs risques et périls, que ce soit pour bâtir ou pour élargir leurs cultures.

Les experts affirment, pour leur part, qu’au contraire les techniques utilisées ont toujours fait preuve d’efficacité.

Devant ce “déficit de communication” entre les populations et l’Etat, des villages donnant accès direct au Sahara tunisien tels que Nouail, El Faouar, Zaâfrane, Es-sabria à Kébili, risquent d’être ensevelis sous le sable.

Déjà, depuis des années, une étude publiée dans la revue Geomorphology avait montré, sur la base d’analyses d’images satellitaires de la région du sud tunisien prise en 2002, 2004, 2008 et 2009, que par rapport à 1997, la dune en forme d’arc de cercle dans la région de Oung Jmal où ont été filmés Star Wars, était à 140 mètres environ des décors, aujourd’hui seuls 10 mètres la séparent du site.

95% des terres en Tunisie sont menacés…

Jamel Kailane, sous-directeur chargé des parcours et de la lutte contre l’ensablement au ministère de l’Agriculture, explique, dans un entretien accordé à l’agence TAP, que 95% des terres dans le pays sont menacés par de différentes formes de désertification dont l’ensablement constitue le phénomène le plus spectaculaire.

D’après les experts, il est certain que cette menace est aggravée, au sud de la Tunisie, par la faiblesse de la couverture végétale du sol et l’action de l’homme et de son bétail sur cette dernière à travers l’exploitation abusive de la végétation, le surpâturage et le défrichement des steppes pour l’extension de la céréaliculture.

M. Kailane estime qu’il faut laisser les techniciens intervenir parce que “si on perd l’écosystème, il ne pourra plus jamais être réparé”.

Pourtant, la lutte contre l’ensablement en Tunisie ne date pas d’hier. Elle remonte à l’époque coloniale, en 1886, qui avait vu la promulgation du premier décret qui a chargé le service forestier de protéger les oasis et le chemin de fer dans la région de Kébili et Tozeur.

Concernant les techniques utilisées pour bloquer l’avancée du sable, le responsable a évoqué la fixation mécanique et la fixation biologique. La lutte mécanique consiste à créer des palissades contre le sens du vent dominant, pour l’obliger à déposer sa charge de sable.

La palissade appelée localement “tabia” se présente sous forme d’une levée de terre selon des normes techniques. Celle-ci est surmontée de palmes. Plusieurs rehaussement sont réalisés au fur et à mesure de la montée du sable.

Il y a d’autres techniques telles que les palissades d’arrêt, la couverture de la dune en utilisant les déchets des carrières et la couverture végétale en utilisant des sous-produits forestiers ou des sous-produits agricoles.

Selon Kailane, les techniciens optent aussi pour le reboisement des sites touchés en utilisant des plantations et des espèces les plus adaptées aux conditions écologiques dans la région.

La désertification, une menace pour les pays du Sahel

Selon des données de l’Observatoire du Sahel et du Sahara (OSS), dont le siège est à Tunis, les régions affectées par la désertification présentent un équilibre précaire hérité de la dernière période humide du quaternaire. Il s’agit de toutes les régions arides, semi-arides, sub-humides et sèches.

L’accélération du rythme de l’avancée du sable est le résultat d’une activité humaine intense et de politiques agricoles et environnementales non prospectives et qui n’ont pas pris en considération les impacts des changements climatiques.

Abdessalem Kallala, expert en environnement et chargé des relations extérieures à l’OSS, a tenu à clarifier la différence entre la désertification et le désert.

La désertification est un phénomène naturel qui consiste en la dégradation des terres, le recul du couvert végétal, de la production et de la fertilité des terres et la détérioration des pâturages, alors que le désert, au contraire, est un écosystème qu’il faut préserver.

Pour l’expert, “c’est l’homme qui s’est emparé du Sahara et non pas l’inverse, il surexploite les terres, exerce des activités agricoles inadaptées aux écosystèmes et défriche le désert”.

“Il faut respecter l’écosystème et opter pour une politique agricole adaptée (périmètres irriguées), prenant en considération les changements climatiques qui constituent désormais une réalité”, a-t-il recommandé.

Concrètement, les agriculteurs doivent faire reposer les terres et préserver les spécificités naturelles, utiliser un matériel agricole adapté et interdire certains engins qui sont de nature à accélérer la détérioration du sol léger, tels que la charrue à disques (à interdire au sud et au centre du pays).

Il faut aussi opter pour le repos biologique et des systèmes de rotation pour l’exploitation des terres agricoles, en vue de conserver les composants du sol et les matières organiques et aider ces terres à se régénérer et à rester fertiles.

M. Kallala recommande l’amélioration de la qualité des semences, la réalisation d’une cartographie claire sur les sites à l’origine du problème d’ensablement ainsi que le respect de la capacité productive des terres et de leurs vocations.

Il plaide aussi en faveur d’une nouvelle interaction entre les techniciens et les agriculteurs et acteurs locaux “qui possèdent souvent une expérience et une expertise indéniable”, appelant à renforcer les capacités techniques nationales pour assurer de meilleures interventions.

Il faut aussi, d’après l’expert, identifier des politiques agricoles à long terme sur la base d’une “année sèche” et non sur la base d’une année de bonne production pour bien se préparer au pire.

Dans le cas des terres du sud tunisien, Kallala préconise l’utilisation de systèmes perméables dans les zones menacées de désertification qui respectent les couloirs du vent, le traitement dans les zones d’origine du sable et l’étude des profils d’équilibre dans les zones exposées au phénomène d’ensablement.

Le Maghreb arabe perd chaque année 200.000 ha de terres agricoles

La région du Maghreb arabe perd, chaque année en raison de la désertification, plus de 200.000 hectares de ses terres agricoles alors que la formation de 1 cm de terre arable dans les régions arides nécessite entre 100 et 400 ans.

Au niveau mondial, la désertification influence directement 3,6 milliards d’hectares des terres, soit 70% des terres arides et le 1/3 de la superficie de la terre. La moyenne de détérioration des terres agricoles s’élève à 6 millions d’hectares.

La désertification intéresse, directement, 99 pays où vivent 1 milliard de personnes. Pour mettre fin à ce phénomène, il faut 35 ans à condition de mobiliser des fonds estimés à 4,5 milliards de dollars par an, soit un total de 95 milliards de dollars.