Au regard des sentiments de déception et de satisfaction qui ont marqué les réactions à la composition du nouveau gouvernement Habib Essid, les Tunisiens, à l’exception des mauvais perdants du clan Marzouki, ont prouvé encore une fois qu’ils demeurent des gogos, niais et crédules. Ces mêmes Tunisiens, qui continuent à croire que les nouvelles équipes gouvernementales vont, après le soulèvement du 14 janvier 2011, les servir et améliorer un tant soit peu leur quotidien, se trompent sur toute la ligne.
Pourtant, pour se persuader des limites génétiques de ce gouvernement, il leur suffisait de remonter dans l’Histoire contemporaine de la Tunisie. Ainsi, sur les 13 primatures qui se sont succédé, depuis l’accès de la Tunisie à l’indépendance, aucun chef de gouvernement n’a marqué, positivement, de son empreinte la mémoire des Tunisiens et n’a parvenu à résoudre leurs problèmes. Ils s’étaient servis plus qu’ils n’avaient servi. Ils étaient plus courtisans que partisans. C’est pour cela que personne ne se rappelle d’eux.
Conséquence: de nos jours, les Tunisiens sont, hélas, confrontés à des problèmes récurrents, depuis plus de cinq décennies: déséquilibre régional, iniquité des chances, népotisme, corruption généralisée, économie de cour, tribalisme professionnel (filiation), chômage, pauvreté extrême à l’ouest…
Les Tunisiens ne récoltent pas les fruits de leurs révoltes
Les Tunisiens n’ont pas été, pour autant, dociles. Ils se sont révoltés à maintes reprises contre le pouvoir central. Au nombre de ses émeutes-soulèvements figurent: la révolte des paysans du village de Ouerdanine contre le collectivisme en 1969, la grève générale du 26 janvier 1978, l’attaque armée à Gafsa contre le pouvoir en 1980, la révolte du pain en 1984, la répression des intégristes en 1990-1991, la grève de la faim hyper-médiatisée du journaliste Taoufik Ben Brik en 2000, la révolte armée des salafistes de Slimane, le soulèvement des habitants du bassin minier en 2008, le soulèvement du 14 janvier 2011 ayant entraîné la fuite du dictateur, et le spectaculaire sit-in pacifique à la place du Bardo, en août 2013, contre la dictature nahdhaouie.
En dépit de ces révoltes, les gouvernements ont toujours géré le pays selon le même scénario. Au nom d’une approche clientéliste anachronique, la mafia politico-financière régionaliste au pouvoir s’était ingéniée à contenir, d’abord, les frondes populaires, à reprendre, ensuite, le pouvoir et à continuer, enfin, à partager le pays comme un vulgaire butin.
C’est pour dire au final que le nouveau gouvernement ne sera pas plus probe et plus intègre que ces prédécesseurs. Sa seule nouveauté réside dans la caution régionale. Il nous semble que toutes les régions sont représentées dans ce gouvernement. Ce qui constitue une première en attendant le rendement et l’efficacité.
Par ailleurs, ce gouvernement se distingue par l’affinement et la reprise à son compte des techniques de gouvernance des anciens maîtres de Habib Essid (Ben Ali + BCE + Hamadi Jebali).
Des nominations de complaisance
Un regard d’ensemble sur la composition du gouvernement de Habib Essid -lequel est un ancien RCDiste (ne l’oublions jamais)- montre qu’il a repris une des techniques de nomination de Ben Ali, celle de nommer un ministre et de lui flanquer un secrétaire d’Etat pour le contrôler et l’espionner s’il le faut.
Il a repris également les nominations de complaisance par les hauts dignitaires du parti majoritaire, ici Nidaa Tounès.
Dans cette optique, les nominations les plus visibles sont celle de la Keffoise, Majdoline Cherni (nommée secrétaire d’Etat chargée du Dossier des martyrs et blessés de la révolution à la faveur, apparemment, d’une recommandation personnelle de Béji Caïd Essebsi) et celle de l’Oasien (Tozeur) d’Ahmed Ammar Youmbai en qualité de ministre des Affaires sociales. Cette nomination a l’air de porter l’empreinte de Mohamed Ennaceur, actuel président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et président par intérim de Nidaa Tounès. Mohamed Ennaceur et Youmbai ont été depuis de longue date des compagnons de route.
Pas de doute, il y aura un gouvernement parallèle
Par ailleurs, compte tenu du fait que Habib Essid a été un ministre au temps de BCE Premier ministre et en signe de reconnaissance envers BCE pour sa promotion spectaculaire et inattendue comme chef du gouvernement sous-traitant pour le compte de Nidaa Tounès, il n’est pas exclu qu’Essid tolère et accepte qu’il existe un gouvernement parallèle au Palais de Carthage. Tout comme le faisait Ben Ali avec Mohamed Ghannouchi.
Qui a dit que l’histoire est un éternel recommencement.