109 voix et le gouvernement Essid pourrait réussir le concours d’entrée à la Deuxième République. Nidaa Tounes, avec ses 86 députés, et son allié l’UPL (16 députés) réunissent à eux seuls 102 voix. Restent les 7 autres qui seront déterminantes pour passer le cap de l’approbation de l’ARP. Mais ça sera du tout juste, et en tout cas cela ne sera pas pour demain. Car comme c’est devenu d’usage aujourd’hui dans notre pays, tous les partis veulent des postes ministériels et sont déçus de ne pas en avoir. En fait, Habib Essid devrait peut être innover en créant 217 ministères, pourquoi pas!
Ennahdha a d’ores et déjà annoncé son intention de refuser au gouvernement Essid le vote de confiance, rejoignant ainsi le Front populaire, Afek et, cerise sur le gâteau, Al Moubadra qui vient de les rattraper.
Les raisons invoquées? C’est un régime parlementaire, il faut que la formation gouvernementale soit représentative des partis à l’ARP.
Comme si la prétendue démocratie tunisienne existait depuis des siècles et que l’on devait perpétuer des traditions ancestrales! Ridicule.
Les régimes parlementaires, souvent fortement influencés par les forces politiques en présence, finissent par mettre à genoux des pays dont les institutions démocratiques sont séculaires. L’Italie a souffert, des années durant, d’un régime parlementaire qui a détruit son économie avant de retrouver un certain équilibre -et encore- elle ne s’en sort vraiment pas.
En France, la troisième République, longtemps tenue par les opportunistes, c’est le cas aujourd’hui pour une large frange de la classe politique tunisienne, a fini par céder aux radicaux, qui ont dominé la vie politique jusqu’à la montée au créneau des socialistes en 1936. C’est dire à quelle point la bêtise, la courte vue et la voracité peuvent être nocives pour un pays.
Pour la petite histoire, deux postes auraient été proposés au parti Afek Tounes et ont été rejetés par ce dernier qui estime que ses 8 représentants devraient lui offrir la prépondérance décisionnelle dans la composition du gouvernement. La Troïka n’a pas autant souffert des positions de principes de partis tels Afek ou Al Moubadara.
Des partis qui n’ont pas compris que la prochaine phase par laquelle va passer la Tunisie est éminemment sécuritaire et socioéconomique et non politique, et que les lumières qu’ils sont ne pourraient assurer la gestion d’une Administration désarticulée dont ils ignorent les rouages.
La position du Front populaire a le mérite d’une certaine cohérence. Dès le début, le parti a mené ses propres batailles électorales, a exprimé des réserves quant à une possible participation au gouvernement et a indiqué tout récemment qu’il ne fait pas confiance au ministre de l’Intérieur pour lever le voile sur les assassinats politiques. Promesse que BCE s’était engagé à honorer tout comme Habib Essid qui compte annoncer la couleur lors de la présentation de sa formation gouvernementale devant l’ARP pour le vote de confiance. «Notre objectif n’est pas de participer à la formation gouvernementale, a affirmé Mongi Rahoui, mais Habib Essid ne nous a pas envoyés des signaux rassurants. Presque pas de concertation quant à la philosophie et la logique mêmes de la formation gouvernementale, au choix du ministre de l’Intérieur, héritage de l’ancien régime et qui ne garantit en aucun cas la levée du voile sur les responsables des attentats politiques. Le principe de l’adoption de certains points du programme socioéconomique de la Jabha et pour finir la présence à la tête de certains départements ministériels de personnes dont l’intégrité morale est douteuse et qui feraient même l’objet de poursuites judiciaires».
Des casseroles, presque tout le monde en traîne…
Mais la question n’est pas là. Car si l’on commençait à chercher des casseroles aux politiques en exercice ou hors exercice, on en trouverait presque pour tout le monde. Pour les uns, des toutes petites, pour d’autres des marmites. N’en déplaise aux puritains, hommes et femmes de “principes” dans tous les partis existant sur la scène politique dans notre pays.
La question serait plutôt de savoir qui pourrait gérer la prochaine phase que traversera le pays. C’est comme si un architecte de renom avait devant lui un immense amas de grosses pierres qui lui voile la vue et ne lui permet même pas de déterminer la superficie sur laquelle il compte édifier une belle villa. Comment dans ce cas, concevoir le plan de construction? Alors qu’il n’a pas la vision ? Nos politiques croient peut-être être dotés de rayons infrarouges, alors que soyons francs, la plupart du temps ils n’y voient pas très clair… Ce qui explique la transition difficile que traverse la Tunisie… Un leadership défaillant, court-termistes et dépourvu de culture et de vision politiques.
Récupérer l’Administration, la mère des batailles
Un leadership qui n’a pas compris que la Tunisie doit récupérer la Tunisie, avant de passer à l’étape d’après, celle d’entrer de plain-pied dans l’exercice politique sur les projets des partis à l’ARP. Comme s’il suffisait d’avoir des diplômes plein les poches et d’avoir été élus pour savoir diriger un Etat!
Un observateur avisé de la scène politique et sécuritaire du pays a déclaré: «Nous venons de sortir d’une ère de transition de quatre années marquée par le passage de 5 gouvernements… Autant les missions des anciens gouvernements s’inscrivaient dans le court terme autant celles du gouvernement actuel s’inscrivent dans un cadre de stabilité institutionnelle, dans une perspective de moyen terme (législature de 5 ans) et dans l’obligation d’engager des réformes profondes qui doivent rompre avec tous les passés aussi bien dans la forme que dans le fond. Cette entreprise est d’autant plus inéluctable que tous les clignotants sont au rouge… L’action de ce gouvernement se doit d’élaborer le nouvel ordre annoncé par les actes fondateurs de la deuxième République (corpus et organes constitutionnels)».
Le gouvernement Essid a le devoir et la responsabilité d’annoncer la couleur: la suprématie de la loi, la sanction de tous ceux qui entravent la bonne marche du travail quel qu’en soit la raison s’il n’y a pas défaillance, et si cela n’est pas conforme aux règles en vigueur en matière d’arrêt du travail et de grèves et le respect du statut et de la dimension de l’Etat. Ceci devrait commencer par être appliqué par la centrale syndicale elle-même qui doit donner l’exemple en ne couvrant pas les contrevenants et ne prétendant plus être vaincue par les luttes intestines et dépassée par ses bases, cela lui nuit à elle plus qu’aux autres…
Tous ceux qui menacent l’économie du pays et sa paix sociale doivent être jugés et punis en fonction de l’importance des dégâts qu’ils occasionnent. La Tunisie ne peut plus se permettre le luxe du laisser-aller et du chaos justifiés par la pauvreté et la marginalisation. Les défenseurs des classes sociales défavorisées devraient proposer des solutions pour les sauver de la précarité plutôt que de soutenir les fauteurs de trouble…
L’Administration n’est pas à genoux mais elle est à bout de souffle et à tous les niveaux! Aussi bien financier -car les fonctionnaires n’arrivent plus à joindre les deux bouts-, qu’en raison de la disparition des repères, de discipline et l’absence des valeurs du mérite et du travail dont la déliquescence a été annoncée du temps de Ben Ali et la mise à mort annoncée par la Troïka et les pratiques syndicales peu catholiques.
«L’Etat étant une entité morale, son bras séculier est l’Administration. Quid de cette administration? Pléthorique, bureaucratique, mal payée, sclérosée, démotivée, déresponsabilisée, voire corrompue. Point de salut, point de réformes sans récupérer, au préalable, l’Administration. Pour ce, le choix de ceux qui peuvent conjuguer la vision, le leadership et le management est primordial», continue, sur sa lancée, notre observateur.
Y a-t-il beaucoup parmi les élus du peuple quelques-uns qui réunissent en une seule personne toutes ces qualités? Mehdi Jomaa a eu de la chance d’avoir dans son gouvernement un Ghazi Jeribi, un Hédi Larbi, un Ridha Sfar, un Chiheb Ben Hmed et d’autres valeurs sûres qui ont vécu l’expérience de l’Administration tunisienne des années 1970.
Les questions à poser…
Avant de s’en prendre à Habib Essid dont une grande partie du gouvernement est composée de hauts commis de l’Etat opérationnels maintenant et tout de suite, ses détracteurs devraient peut-être avoir l’humilité et la modestie de se poser les questions suivantes:
-Sommes-nous capables de gérer le pays comme il se doit dans une conjoncture aussi délicate?
-Pourrions-nous remettre l’Etat en scelle? Maîtrisons-nous les rouages de l’Administration publique?
-Ne faut-il pas, dans un premier temps, privilégier la reprise en main de l’Etat par des connaisseurs et autres experts pour qu’ils balisent le terrain pour nous, le temps que nous-mêmes nous familiarisions via des postes modestes aux secrets et aux subtilités de la gestion étatique?
-Les intérêts de la mère patrie doivent-ils prévaloir à ceux partisans et à nos ambitions personnelles?
Le jour où «ces politiques», produits par une scène nationale pauvre en hommes et femmes d’Etat et une autre internationale méconnaissant les réalités nationales et péchant par l’absence de perspicacité et celle de l’approche culturelle, répondront à ces questions, ils comprendront, peut-être, le pourquoi des choix Essid, aussi imparfaits soient-ils, et leurs incapacités, eux-mêmes, à saisir et s’imposer sur la réalité sociopolitique et culturelle tunisienne.