La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a. C’est en tout cas l’impression qu’Amel Karboul, ministre sortante du Tourisme, a laissé entrevoir lors d’une conférence de presse d’adieu au cours de laquelle elle a dressé un bilan mitigé de son activité, durant une année à la tête du secteur.
Honnêtement, il faut dire qu’en une seule année, elle ne pouvait pas faire grand-chose d’autant plus que l’exercice 2014 a été marqué par des événements violents et sanglants à même de dissuader les touristes les plus fidèles à la destination Tunisie de visiter le pays.
L’année 2014 a été sanglante
Pour mémoire, l’année 2014 a connu l’attentat, au mois de mai, à Kasserine, contre le domicile du ministre de l’Intérieur en personne, Lotfi Ben Jeddou, avec comme corollaire:
– quatre policiers tués et deux autres blessés; l’attaque meurtrière d’une unité de l’armée, en juillet 2014, à Henchir Tella (Mont Chamabi) ayant engendré la mort de 15 soldats;
– assassinat, au cours du même mois, de deux soldats et blessure de quatre autres dans des affrontements avec des terroristes près de Sakiet Sidi Youssef, gouvernorat du Kef (nord-ouest);
– assassinat, au mois de novembre 2014, de trois militaires et blessure de 12 autres lors d’une attaque terroriste contre un bus militaire près de Nebeur;
– au mois de décembre 2014, un agent de la garde nationale égorgé près du village de Nebeur.
Les flops d’une saison…
Conséquence: les résultats de la saison touristique ont été impactés par ces évènements sanglants. Par les chiffres, le nombre de touristes étrangers ayant visité la Tunisie en 2014 a baissé de 3,2% par rapport à 2013, à hauteur de 6.068.593 touristes, une moyenne annuelle réalisée régulièrement depuis 2000. Certains marchés émetteurs ont connu également une baisse. Le marché russe a baissé de 11,5%, le marché français de 6,1%, celui de la Scandinavie de 19,5%, le marché libyen de 21,3%.
Toujours au niveau des flops, Mme Karboul a regretté le non démarrage, en 2014, des marinas de Bizerte et de Gammarth. Elle a reconnu l’échec du Programme de mise à niveau hôtelier et annoncé un nouveau programme pour les années à venir. Elle a imputé cet échec à la marginalisation, au temps de Ben Ali, des institutions de l’Etat en charge du tourisme, au déficit de communication entre les divers départements ministériels, et, entre ses propres services.
… mais des résultats positifs
Au rayon des résultats positifs, Mme Karboul en a cité deux: l’intérêt porté pour sauver deux stations touristiques régionales sinistrées (Tozeur et Tabarka) et l’amélioration de la qualité du service. Les contrôles techniques ont augmenté de +57% par rapport à 2013).
Autres bons résultats: le bon comportement des marchés algérien (+35%), britannique (+4%) et italien (+9%), et l’augmentation de 11% des recettes touristiques par rapport à 2013. Celles-ci sont passées de 3,22 milliards de dinars en 2013 à près de 3,6 milliards de dinars en 2014. Ce chiffre demeure toutefois en baisse de 14,5% en comparaison avec l’année référence 2010.
A signaler également l’action menée sous sa direction pour rationaliser le budget promotion, dépensé des décennies durant sans aucun discernement. Au cours de son mandat, elle a initié une étude d’impact du budget alloué, à cette fin, étude qui a touché les quatre principaux marchés émetteurs: France, Allemagne, Italie et Grande-Bretagne.
Point d’orgue, la stratégie Vision 3+1
Au plan qualitatif, Mme Karboul a cité la mise au point de la stratégie vision «3+1». Cette stratégie qui vient synthétiser tout le think tank accompli, depuis des décennies, pour restructurer le secteur touristique, a été axée autour de trois axes: diversification de l’offre par région et de l’investissement, la qualité et la formation et l’image de marque de la destination Tunisie.
La stratégie Vision «3+1», articulée autour de 40 projets et annoncée en 2014, bénéficiera en 2015, de financements budgétisés estimés à 1,5 MDT.
L’apport de Mme Karboul
Par delà ces flops et tops d’un mandat qui est loin d’être catastrophique au regard des circonstances (terrorisme) et de la moyenne annuelle réalisée depuis l’an 2000 (6 millions de touristes), Amel Karboul a eu le mérite et le courage de s’attaquer à quatre foyers de corruption qui ont gangrené, jusque-là, ce secteur transversal.
Il s’agit des barons du lobbysme balnéaire monolithique opposé à toute diversification, des gaspilleurs institutionnels du budget de la promotion dépensé sans obligation de résultats, des institutions de l’Etat en charge du secteur marginalisées à dessein et les ministres qui passent leur mandat à voyager et à concocter des études stratégiques sans lendemain.
Pour toutes ces raisons, nous estimons que la sympathique jeune ministre sortante a grandement réussi, en rappelant, à travers les réformes annoncées, ce précieux mécanisme de base auquel l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) a toujours appelé. Selon ce mécanisme, toute destination touristique qui se respecte doit développer l’industrie touristique sur chaque pouce de son territoire.
Après plus de six décennies de tourisme, Mme Karboul aurait au moins essayé à travers sa stratégie «Vision 3+1» de mettre en place les règles de base pour développer, sur des bases solides, une industrie touristique viable et pérenne qui profite à tous les villages du pays sans exclusion aucune.
Et si les représentants de la profession brillaient par leur absence au cours de cette conférence de presse d’adieu, c’est tout simplement parce que Mme Karboul avait touché leurs situations de rente et intérêts étroits de court terme.
Bravo Madame!