Face à la concurrence d’Uber, le vague à l’âme d’un taxi parisien

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écembre 2014 à Paris (Photo : Lionel Bonaventure)

[29/01/2015 09:47:22] Paris (AFP) “C’était une très belle profession, qui se dégrade”: l’amertume de Philippe Rossignol, chauffeur de taxi parisien, est dirigée contre la concurrence d’Uber, mais aussi contre l’Etat français qui selon lui “ne joue pas son rôle” de régulateur.

“Depuis quelques années, on est entre -15% et -20% de chiffre d’affaires”, explique M. Rossignol, 45 ans dont 17 à conduire un taxi en Ile-de-France. Une chute de l’activité due en particulier selon lui à l’arrivée de nouveaux concurrents, dont les VTC, les voitures de transport avec chauffeur.

“Nous sommes de plus en plus nombreux à manger le même gâteau”, constate M. Rossignol, issu d’une famille de chauffeurs de taxi. Seule solution pour maintenir un revenu stable: travailler davantage. “Avant, quand il me restait deux heures à faire et que j’étais près de chez moi, je rentrais. Maintenant, je continue”, dit-il.

A l’unisson de nombre de ses collègues, ce chauffeur estime que la nouvelle concurrence des VTC, et surtout du géant américain Uber, n’est “ni juste, ni loyale, ni saine”.

Contrôle annuel des véhicules, visites médicales, casier judiciaire vierge: les chauffeurs de taxi, profession réglementée, doivent répondre à de nombreux critères, dont le moindre n’est pas un compteur “au temps et au kilométrage, plombé et contrôlé” par l’Etat, qui décide aussi des tarifs.

Uber, via sa populaire application sur smartphone, a recours à un compteur virtuel, ce qui a suscité une action en référé pour “concurrence déloyale” devant le tribunal de commerce de Paris fin 2014. L’entreprise californienne était aussi visée pour son service “UberPOP”, où les chauffeurs sont de simples particuliers.

Il a valu à Uber une condamnation à 100.000 euros d’amende au tribunal correctionnel. La société a fait appel et continue à le proposer. Le PDG d’Uber, Travis Kalanick, a récemment affirmé au journal Le Monde que “d’une manière générale, et pas qu’en France, les lois sont là pour protéger les acteurs historiques”.

– Effort sur la qualité d’accueil –

“Le problème des actions en justice, c’est que c’est trop long, alors que l’Etat ne joue pas son rôle”, estime M. Rossignol. Les policiers “ont énormément verbalisé (mais) la justice ne suit pas”, des condamnations plutôt clémentes frappant les taxis clandestins, même récidivistes, selon lui.

Les taxis s’alarment aussi des effets de la concurrence sur la valeur de leur fonds de commerce, leur licence. De 220.000 euros, elle s’est érodée à environ 180.000 et baisse encore. “Aujourd’hui, un jeune va travailler dur, gagner le Smic, mais il n’aura plus ce retour sur investissement” en fin d’activité, met en garde Philippe Rossignol.

M. Kalanick a affirmé le 18 janvier que son groupe pourrait créer quelque 50.000 emplois en Europe, rien qu’en 2015.

Des promesses vides de sens pour Alain Griset, président de l’Union nationale des taxis. “On a quelqu’un qui dit: +le droit français, je m?assois dessus+”, dénonce M. Griset à l’AFP. Dans les mêmes conditions, “nous, nous pouvons créer 200.000 emplois”, ironise-t-il.

“Le courage politique voudrait que le gouvernement interdise l’entreprise (qui organise) du travail dissimulé, en profitant de malheureux qui trouvent là un moyen de gagner trois francs six sous”, ajoute M. Griset.

Avant l’irruption d’UberPOP, les artisans taxis disaient déjà souffrir du fait que les VTC travaillent souvent sous le statut d’auto-entrepreneur, avec moins de charges, et se permettent d’être moins chers. Les tarifs d’UberPOP sont encore plus bas.

Alors que M. Kalanick dit avoir eu l’idée d’Uber après avoir peiné à trouver un taxi dans la capitale française, M. Rossignol concède que l’entreprise américaine a pu prospérer “à cause de certaines carences” des taxis parisiens.

En 2010, un sondage publié par le site hotels.com faisait pointer Paris à la dernière place d’un classement de grandes villes touristiques mondiales pour la qualité de leurs taxis. Principal reproche opposé aux chauffeurs parisiens: leur manque d’amabilité.

“Les centrales d’appel ont mis la pression sur leurs chauffeurs à juste titre sur la tenue vestimentaire et la qualité d’accueil”, remarque M. Rossignol, qui travaille en costume-cravate. Dans sa voiture, il propose des magazines, de l’eau et une prise pour recharger les portables.

Selon la Préfecture de police de Paris qui délivre les licences, 17.702 taxis circulent actuellement dans la capitale.