à New York le 22 juin 2010 (Photo : Stan Honda) |
[30/01/2015 13:33:13] Paris (AFP) Le point commun entre un ancien banquier de Goldman Sachs et un ex-conseiller de Jersey, paradis fiscal notoire? Les deux se livrent dans un documentaire démontant la machine mondiale de la fraude et de l’optimisation fiscale, que les Etats peinent à enrayer.
Dans la même veine que “We feed the World” (sur les dérives de l’industrie agroalimentaire) ou “Inside Job” (sur la crise financière), “Le prix à payer” du réalisateur canadien Harold Crooks, en salles le 4 février, déploie pédagogie et militantisme en 93 minutes denses, entrecoupées de plans sur un ciel d’orage.
Cet orage, c’est celui qui, selon les multiples témoignages recueillis, menace la démocratie si rien n’est fait pour gripper les mécanismes permettant aux entreprises et au secteur financier de s’enrichir en s’affranchissant de l’impôt.
Un combat vieux comme le monde, ou presque: la fiscaliste québécoise Brigitte Alepin, dont les ouvrages ont inspiré le réalisateur, remonte à la Révolution française pour dénoncer l’apparition aujourd’hui d’ “une nouvelle noblesse qui tout à fait légalement ne paie pas d’impôt”. Un ancien dirigeant de BNP et grand commis de l’Etat devenu militant de la transparence financière, Daniel Lebègue, cite un texte juridique babylonien vieux de plus de 3.500 ans pour rappeler les banques à la morale.
Ce film, visible en France dans une cinquantaine de salles, ne recèle aucune révélation fracassante ni séquence choc tournée en caméra cachée, mais se veut une démonstration implacable des mécanismes utilisés pour frauder ou au mieux contourner les administrations fiscales ainsi que les mécanismes de régulation.
– Interrogatoires sans pitié –
Le documentaire s’appuie en particulier sur les auditions des représentants de certaines multinationales (Apple, Barclays Bank, Google) devant les parlementaires américains et britanniques.
île de Jersey, le 13 mars 2009 (Photo : Marcel Mochet) |
Ces interrogatoires sans pitié de cadres aussi stoïques qu’embarrassés sont parmi les passages les plus marquants du film, qui convoque aussi de nombreux repentis: ainsi John Christensen, un temps conseiller de l’un des plus célèbres paradis fiscaux au monde, Jersey, qui est devenu directeur d’une ONG militant pour la justice fiscale; ou encore Wallace Turbeville, ancien vice-président de la banque Goldman Sachs, devenu avocat fervent d’une “taxe Robin des bois” sur les échanges boursiers.
Ils côtoient à l’écran un pasteur londonien dénonçant les privilèges de la “City”, un pompier américain devenu militant de la taxe sur les transactions financières aux côtés d’un ancien de la Bourse de Chicago, des manifestants du mouvement “Occupy”, des lobbyistes du secteur financier, le négociateur en chef de l’OCDE pour les questions fiscales (Pascal Saint-Amans), ou encore des hauts fonctionnaires du fisc français.
Balayant aussi bien la question de l’évasion fiscale “parfois illégale, toujours immorale” que le développement d’échanges boursiers frénétiques par ordinateur et les travers de l’économie numérique, le documentaire plaide pour une riposte politique coordonnée, passant d’abord par une taxation des transactions financières.
Le thème pourrait difficilement être plus actuel, au moment où la France et l’Autriche ont promis de relancer un projet européen bien mal engagé de taxe sur les transactions financières à l’échelle de onze pays. Le ministre des Finances français Michel Sapin a d’ailleurs visionné “Le prix à payer” avant sa sortie.
Autre piste évoquée par le documentaire: l’harmonisation entre Etats plutôt que la poursuite de la course au moins-disant fiscal.
L’économiste star Thomas Piketty défend dans le film la création d’une base commune d’impôt sur les sociétés, au minimum au niveau européen.
Ce projet a été plusieurs fois évoqué à Bruxelles, mis sur les rails par la Commission européenne sous l’acronyme un peu barbare “Accis” (assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés) et repris à son compte par le président français François Hollande. Mais il n’a jusqu’ici aucune perspective de concrétisation dans un avenir proche.