La Tunisie devrait connaître une autre transition, dans le secteur immobilier. Le passage à l’éco-construction a été le thème débattu lors d’une table ronde organisée le 4 février, au siège de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONNECT). C’est dans le cadre des 7èmes journées de l’éco-construction que cet événement s’est déroulé. Mais cette transition de la construction classique vers une construction écologique semble être un chemin semé d’embuches.
La communication
«L’éco-construction peine à s’imposer en Tunisie. Ce n’est pas un luxe, ce type de construction doit être un mode de vie», nous a affirmé Faouzi Ayadi, manager d’Invest Consulting et organisateur des 7èmes journées de l’éco-construction. Avant de poursuivre : «Pour promouvoir l’éco-construction, il faut, par le biais de la communication, changer les mentalités, créer une nouvelle dynamique économique et proposer de nouvelles représentations architecturales».
L’éco-construction est un mode de développement durable qui permet de diminuer les consommations d’énergie. L’éco-construction est également appelée “habitat écologique“ ou “construction bioclimatique“. Différents éléments contribuent à sa réalisation. Il s’agit notamment du recours à des matières premières et des matériaux spécifiques, de l’orientation même de la maison, d’une isolation performante et de l’utilisation d’énergies renouvelables.
Si certains ne souhaitent pas construire «éco» parce que les coûts sont onéreux, d’autres ne s’aventurent même pas à construire selon un modèle sur lequel ils n’ont pas assez d’informations. Selon Fahmi Chaabane, il s’agit plus clairement d’un manque de communication sur ce type de construction. «L’absence d’un cadre institutionnel pour sensibiliser les citoyens à l’importance de la construction-éco, le problème des taxes, le manque de main-d’œuvre, la lourdeur administrative et le manque de communication sur les spécificités des régions découragent les citoyens et les promoteurs immobiliers», a énuméré le président de la Chambre syndicale nationale des promotions immobilières en Tunisie, au sein de l’UTICA.
Du point de vue historique, le sud tunisien, notamment Jerba et Nefta, est plus écologique que le nord, estime Faouzi Ayadi.
La communication est indispensable pour coordonner les projets d’immobilier écologique. A travers la communication média et non média, la création de comités ou d’organisations et le partage d’expertise avec des acteurs internationaux, la culture de construire écologique pourrait être admise par les citoyens. «La recherche scientifique est un élément important dans ce processus. Elle permettra d’avoir une idée sur la cartographie de la construction-éco en Tunisie, mais pour l’instant, elle servira les promoteurs immobiliers soucier de découvrir les conditions de sa réalisation selon une base de donnée géologique», a précisé Mohammed Seif Allah Snoussi, chef de la section des affaires générales et techniques à la direction centrale technique, au sein de l’Office national des mines.
La création d’une commission ou d’un observatoire réunissant tous les acteurs, dont les architectes, les ingénieurs, l’UTICA et les promoteurs immobiliers, pourrait également combler à ce vide communicationnel et permettre au citoyen l’accès à l’information.
«Nous devons adopter pour une approche participative et passer à l’action. Notre voisin le Maroc a dépassé le stade de la théorie et a entrepris des actions dans le domaine de l’éco-construction», préconise, pour sa part, Hajer Kacem Ben Amor, secrétaire générale adjointe de l’Ordre des architectes.
Droit ou devoir
Construire «éco» ne relève pas du «chic». Les conditions climatiques dans lesquelles vit l’être humain aujourd’hui n’encouragent plus à adopter le modèle classique et pourraient même transformer la culture écologique en un devoir incontournable.
Pour introduire les citoyens à une culture écologique, le Maroc a lancé le label «Mosquée verte», en 2014, pour inciter ces lieux de culte à réduire leur consommation d’électricité. D’autres pays favorisent également la construction écologique en utilisant de la brique de terre crue, du chanvre, du bois et de la paille. Tandis qu’en Allemagne, la doctrine de construire éco est apparue dès 1969.
«En Tunisie nous ne manquons pas de ressources, la brique à plâtre pourra par exemple être facilement introduite dans le marché tunisien. Sauf que la crise de confiance empêche le citoyen de penser à construire éco, car il n’y est pas habitué», nous a expliqué M. Ayadi.
Les crises ne sont pas souvent les causes de l’abstention. La crise pétrolière et l’apparition du syndrome du bâtiment malade ont été, en effet, à l’origine de la construction de ce modèle économique, dans le monde, basé sur l’écologique. «Tant qu’il n’y a pas une économie de l’éco-construction, on ne pourra pas convaincre le consommateur», a ajouté Mohsen Fradi, promoteur immobilier.
L’éco-construction, qui respecte la nature, en matière de conception ou de produit, mais également de la gestion de l’immeuble demeure un phénomène récent en Tunisie. Cela n’empêche pas que le citoyen peine aussi à construire selon le modèle classique, car selon Ayadi, l’immobilier a également connu une hausse assez remarquable des prix avec un rythme de vente modeste.
«Il y a des obstacles psychologique, pour le consommateur désirant construire-éco, puisque c’est un champ en friche. Les citoyens ne sont pas habitués à utiliser des procédés écologiques, mais tellement la qualité de vie est meilleure, dès que l’expérience aboutit, les gens changeront certainement d’avis», espère Faouzi Ayadi.
Deux sœurs avaient construit, récemment, deux maisons limitrophes (classique et écologique) à Bizerte, actuellement en cours de finition. La différence est notamment constatée au niveau du prix et de la qualité des produits et par conséquent de vie. Une autre initiative a été également prise dans ce sens. Un quartier écologique a été conçu et réalisé dans la zone de La Soukra (Tunis), s’étalant sur environ 30 hectares. Ce projet 100% tunisien et 100% écologique sera présenté lors des prochaines journées, qui auront lieu le mardi 10 février.
Avant de devenir un devoir pour le monde entier, la construction écologique est d’abord, pour le Tunisien, un droit constitutionnel comme le souligne Faouzi Ayadi, car tout citoyen a le droit à un environnement sain et équilibré et à un climat sécurisé, comme le stipule l’article 45 de la Constitution. La communication sur ce type de construction s’avère aujourd’hui, plus que nécessaire.