Le secteur public tunisien –administration et entreprises publiques- est malade et il est grand temps de le réformer comme il se doit pour le rendre plus performant et moins coûteux pour la communauté nationale. C’est là la conclusion –guère nouvelle, donc pas surprenante- d’une récente étude de la Banque mondiale intitulée «Taille du secteur public et gestion de la performance: étude de cas de la Tunisie post-révolution»..
Le secteur public était déjà malade avant le 14 janvier 2011, comme le rappellent les auteurs de l’étude (Anne Brockmeyer, Maha Khatrouch et Gaël Raballand), mais sa situation s’est nettement détériorée au cours des quatre dernières années. Car confronté aux revendications économiques et sociales fusant de partout, les gouvernements successifs d’après le 14 janvier 2011 –et plus particulièrement ceux de la Troïka (composée du parti islamiste Ennahdha, et deux formations de centre-gauche, le Congrès Pour la République et le Forum Démocratique pour les Libertés et le Travail) ont fait de l’Etat «l’employeur de dernier recours». Ce qui a pour effet de gonfler fortement les effectifs de la fonction publique et des entreprises publiques.
Comme le rappelle le rapport de la Banque mondiale, durant les seules années 2011 et 2012, plus de 90.000 nouveaux employés ont rejoint la fonction publique –soit le double des recrutements annuels avant la révolution-, dont les effectifs sont ainsi passés à 616.000 agents. S’y ajoutent les 180.000 employés des entreprises publiques.
Un bond de 44%…
Cette augmentation a fait faire un bond de 44% à la masse salariale entre 2010 et 2014, alors qu’elle n’avait progressé que de 28% de 2006 à 2009. Le déficit budgétaire a par conséquent explosé pour se situer à 5,7% du Produit intérieur brut et pourrait, selon l’étude, dépasser 6,7% à fin 2014.
Le sureffectif n’est toutefois pas le seul problème –ni le plus lourd de conséquence- du secteur public. D’après l’étude de la Banque mondiale, celui-ci en a quatre autres affectant le système de gestion de la performance, c’est-à-dire au niveau du recrutement, de l’évaluation, de la rémunération et de la promotion.
Sauvegarder la paix sociale et la stabilité
La révolution a perturbé le mode de recrutement pour la fonction publique. Avant le 14 janvier 2011, on y décrochait un emploi par voie de concours, sauf pour les diplômés de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA). Après la révolution, outre la réintégration et la réhabilitation dans leurs droits des fonctionnaires licenciés sous Ben Ali, à la faveur de l’amnistie générale décrétée le 19 janvier 2011, des dispositions exceptionnelles ont été prises qui autorisent le recrutement direct «pour sauvegarder la paix sociale et la stabilité» au profit des bénéficiaires de l’amnistie générale, des blessés de la révolution, d’un membre de la famille de chaque victime, etc., ainsi que la régularisation des contractuels.
Cette entorse au mode de recrutement habituel a pour conséquence «la détérioration de la qualité des compétences recrutées», la baisse du taux d’encadrement et «la surreprésentation des ouvriers dans l’effectif».
Manque de transparence te d’objectivité
Le système d’évaluation des employés du secteur public présente lui aussi de nombreuses faiblesses. Bien que basé sur cinq critères (qualité du travail, quantité du travail, relations interpersonnelles et conduite, présence et persévérance), ce système manque, d’après l’étude, de transparence et d’objectivité, puisqu’«il n’y a pas d’objectifs fixés en début d’année et pas de benchmark pour évaluer la qualité et la quantité du travail».
Par conséquent, la notation de l’employé «dépend largement de l’appréciation de son supérieur hiérarchique». En outre, le système d’évaluation ne permet pas de distinguer bonne et mauvaise performance, c’est-à-dire le bon employé du mauvais, puisque la majorité d’entre eux obtiennent une note entre 95 et 100.
Les faiblesses du système de rémunération
Le système de rémunération n’est pas lui aussi exempt de tares. Des faiblesses, il en a au moins trois: complexité, absence de relation entre rémunération et performance et des différenciations salariales entre groupes professionnels telles qu’elles empêchent la mobilité entre ministères.
Last but not least, les promotions ne sont pas accordées de la manière dont elles devraient l’être et pas pour atteindre les objectifs qui devraient leur être assignés: encourager les employés à faire toujours mieux.
Jusqu’en 2010, un employé du secteur public passait d’un grade à un autre de l’une de trois manières: après avoir suivi une formation organisée par l’administration, à travers un choix basé sur le mérite, ou par le biais de procédures compétitives internes.
Après la révolution, les gouvernements ont encouragé «les promotions basées sur les candidatures au lieu des examens compétitifs», et ce, explique le rapport de la Banque mondiale, pour «promouvoir rapidement un grand nombre d’employés (…) et ainsi améliorer le climat social»..