Pour une malheureuse nouvelle, en ce début d’année, c’en est vraiment une pour la chaîne nahdhaouie Zeitouna. Au moment où son rendement commence à s’améliorer nettement et, de ce fait, de s’imposer professionnellement dans le paysage médiatique et à damer le pion à ses concurrentes, la Haute autorité indépendante de communication audiovisuelle (HAICA), structure de régulation de l’audiovisuel, vient de l’informer, tout autant que 34 autres radios et chaînes de télévision, qu’elle va «procéder à la saisie des équipements des établissements audiovisuels diffusant d’une manière illégale» (communiqué rendu public le 29 janvier 2015).
Mieux, dans un communiqué publié le lendemain, c’est-à-dire, le 30 janvier 2015, le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) apporte un précieux soutien à la HAICA et «affirme son adhésion à l’application de la loi, pour réglementer le secteur médiatique et assurer l’égalité des institutions devant la loi».
Cette décision peut être compréhensible lorsqu’on sait que le secteur audiovisuel connaît un véritable désordre, voire une véritable gabegie. Elle n’est pas toutefois compréhensible par son timing. Elle est prise à une période de passation de pouvoir. C’est tout simplement bizarre. Certains observateurs pourraient dire que la HAICA, en sa qualité d’instance indépendante, n’est pas concernée par cet agenda politique, mais on sait qu’en Tunisie, en ce début de démocratie, rien n’est fortuit et rien n’est gratuit. Il y a, hélas, un non dit. Apparemment cette chaîne commence à devenir encombrante pour la mafia politico-financière qui gouverne le pays.
Une chaîne qui évolue en dépit des erreurs passées
Pour revenir à la chaîne Zeitouna, il faut reconnaître que, depuis quelques mois, cette chaîne, particulièrement, a fait beaucoup de chemin et commence à gagner en professionnalisme et à accrocher davantage les spectateurs.
Pour mémoire et pour comprendre son évolution positive, cette chaîne était connue, au temps de la Troïka, pour son alignement aveugle et démesuré sur les positions d’Ennahdha et dérivés, et, spécifiquement, sur celle de la mouvance internationale des Frères musulmans. Tout le monde se rappelle encore la couverture qu’elle avait assurée 24 heures sur 24 heures et 7 jours sur 7 des manifestations des fréristes sur la place de Rabaa Al Adaouia au Caire.
A signaler, également, sa tendance scandaleuse à couvrir de manière partisane l’actualité dans le pays et, surtout, à justifier et à minimiser assassinats, terrorisme et actes de violence commis par les milices s’autoproclamant, à l’époque, “protectrices de la révolution“.
Aujourd’hui, cette chaîne dont la propriété reste louche, s’est restructurée et s’est adaptée, avec succès, aux normes professionnelles internationales. Ainsi, elle a diversifié ses programmes et a investi dans l’investigation et l’humour.
En dépit du penchant génétique de ses animateurs à défendre becs et ongles et les idées et approches du parti Ennnahdha, les invités, la plupart des experts, commencent à se sentir à l’aise sur ses plateaux et à équilibrer les tendances, au grand bonheur des spectateurs férus d’analyses à même de les aider à comprendre leur quotidien.
Deux émissions d’excellente facture commencent à fidéliser les spectateurs. Il s’agit de l’émission «A contrecourant» diffusée samedi soir. Cette émission, qui tourne en dérision l’actualité de la semaine et les déclarations des personnalités politiques, se distingue par sa consistance, par son humour et par sa portée conscientisante des problématiques socio-économiques et politiques du pays.
Une chaîne qui dérange
La meilleure émission est, à mon avis, celle d’Al mirsad (A l’affût) diffusée vendredi soir et reprise samedi soir. Cette émission est très dérangeante pour le pouvoir en place dans la mesure où elle traite de la corruption généralisée dans le pays et dans l’implication de tous les acteurs politiques et économiques du pays.
C’est grâce à cette émission que le voile a été levé sur les méandres de la corruption dans les industries extractives, dans les marchés publics, dans l’armée, dans les industries pharmaceutiques, dans le transport aérien, dans la concession de l’aéroport d’Enfidha, dans les assurances…, documents à l’appui.
Points d’orgue: c’est à la faveur de cette émission que les Tunisiens ont su que les recettes en devises générées par les ressources naturelles du pays ne passent pas par la Banque centrale.
C’est grâce à cette émission qu’ils ont su, aussi, que l’actuel gouverneur et son prédécesseur ont marginalisé et gelé, à des fins non encore identifiées, les activités des structures d’inspection et de contrôle dans cette institution républicaine.
C’est grâce à cette émission qu’ils ont pu s’informer que des collabos de Belhassen Trabelsi, gendre de l’ancien président tunisien, Ben Ali, avaient transféré, le 17 janvier 2011, au bénéfice de ce dernier, un important montant en devises, information qui n’a été ni confirmée ni démentie par la BCT …
Et pour ne rien oublier, c’est grâce à cette émission que les spectateurs ont su que Leila Ben Ali disposait d’une armada de faux bijoutiers qui achetaient pour son compte et en toute légalité de l’or auprès de la Banque centrale… Et la liste des révélations est loin d’être finie.
Une chaîne à sauver au nom du pluralisme médiatique
Moralité: au regard des futilités divertissantes diffusées, à longueur de journée par les autres chaînes (feuilletons débiles, spectacles musicaux de mauvais goût, débat sur des thèmes vernis…), cette chaîne mérite, au vu de la qualité au moins des deux émissions précitées et de son évolution positive dans l’intérêt supérieur du pays, gagnerait à être sauvée et à bénéficier d’un meilleur traitement. Il y va du pluralisme médiatique auquel nous aspirons tous.