«Avoir le soutien de la majorité ne veut pas dire être dans la logique de l’unanimité» (Yadou Allahi ma3a el Jama3a wa layssa m3a Il Ijma3), une phrase que Béji Caïd Essebsi, président en exercice aujourd’hui, a tellement répété qu’il a fini par en convaincre plus d’un et d’une.
Des centaines de milliers de femmes qui ont milité, qui ont lutté pendant ces quatre dernières années pour que la Tunisie préserve son appartenance certes musulmane, mais surtout garde ses qualités d’ouverture et de tolérance et ses orientations modernistes, progressistes dans le respect des valeurs universelles des droits de l’Homme, se sentent aujourd’hui trahies. D’ailleurs, leur intelligence même n’est pas reconnue, parmi les 45 membres du gouvernement, elles n’atteignent même pas le nombre de 10. Les Tunisiennes ne seraient donc bonnes qu’à envahir les rues, défendre le pays contre la montée du terrorisme et de l’extrémisme et militer pour préserver sa stabilité socioéconomique.
Nul doute, nous sommes face à des décideurs politiques misogynes, sauf, fait surprenant, Ennahdha qui met en avant les femmes pour prouver qu’elle n’est pas aussi obscurantiste qu’on le pense. Mais nous connaissons les capacités et les moyens dont dispose ce parti pour embellir son image.
Le projet sociétal prôné par Béji Caïd Essebsi, dont il a fait son cheval de bataille et qui a fait gagner Nidaa Tounes aux élections législatives lui offrant 86 sièges, et à BCE la présidence, rappelle la citation d’Hervé Bazin: «… seul celui qui n’a rien à perdre et tout à gagner met en œuvre toute la voracité de l’intelligence». Et malheureusement, c’est ce qui fut. Le président en exercice aujourd’hui pour lequel plus d’un million de femmes ont voté croyant en ses promesses et en sa capacité à respecter ses engagements a raté le coche en les ignorant une fois installé à Carthage.
Il a failli parce qu’en tant que président de Nidaa Tounes, il avait promis qu’il ferait des compromis mais qu’il ne tolérerait aucune compromission, et les compromissions ainsi que l’opportunisme de l’intelligentsia politique sont devenus aujourd’hui le pain quotidien des Tunisiens.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui pensent que la rencontre du Bristol l’année dernière entre BCE et Ghannouchi a dessiné les contours du gouvernement soumis aujourd’hui au vote de confiance à l’Assemblée des représentants du peuple.
C’est la divine comédie jouée dans toute sa splendeur: défendez avec nous le projet sociétal tunisien, nous ne vous décevrons pas. Une fois au pouvoir, vous n’existez plus.
La composition gouvernementale de Habib Essid est relativement décevante, et qu’on ne nous dise pas que Béji Caïd Essebsi n’y est pas intervenu et n’a pas dit son mot.
Toutes les anciennes figures ont disparu, mêmes les plus méritantes d’entre elles, et comme par hasard, seule exception, le ministre des Affaires sociales, “chargé d’Affaires de l’UGTT auprès du gouvernement tunisien“: sous la direction de Ammar Al Youmbaï, les inspecteurs de travail sont devenus les bourreaux des entreprises au lieu d’assurer leur rôle d’arbitre, neutre, dans le respect de la loi et le soucieux de préserver le tissu entrepreneurial tunisien.
Des sentinelles d’Ennahdha au gouvernement
Une compétence comme Ghazi Jeribi, qui a sauvé le pays du chaos, a été écarté, il n’a pas une UGTT derrière lui et encore moins un parti. Dieu seul en connaît la raison sauf peut-être sa forte personnalité et sa haute probité devenues des tares dans la Tunisie d’aujourd’hui.
Par contre, l’alliance Nidaa/Ennahdha que l’on décriait depuis des mois et que les Nidaistes s’efforçaient de nier est la seule vérité dans le gouvernement actuel. Amel Azzouz, une salafiste reconnue pour ses positions rétrogrades, est nommée secrétaire d’Etat au ministère de la Coopération internationale. Ennahdha doit être avisée des contrats internationaux et surtout protéger les intérêts de ses partenaires turcs, qataris et autres.
A la tête du ministère de l’Agriculture, c’est l’ancien PDG de la SONEDE, nahdhaoui non déclaré, officiellement indépendant, il faut bien que l’on ne sache pas ce qui a été fait des terres domaniales lors du triste passage de Mohamed Ben Salem.
Au ministère de la Santé, une intelligence supérieure et un stratège hors pair appelé Najmeddine El Hamrouni -Saïd El Aïdi ferait-il le poids avec lui?
Au ministère de l’Emploi, Zied Laadhari, défendeur inconditionnel du projet nahdhaoui depuis ses 16 ans, et enfin une Boutheina Yaglene, secrétaire d’Etat au ministère des Finances. Remarquez dans tous les ministères importants à caractère social ou économique, Ennahdha a des sentinelles. Rendons hommage à ce parti pour sa capacité à bien gérer ses affaires et préserver ses intérêts grâce, entre autres, aux prétendus indépendants. Ce qui nous renvoie à Nedhir Ben Ammou, ancien ministre de la Justice, à l’ancien ministre de l’Emploi, Naoufel Jemmali, ou encore au ministre de l’Intérieur partant, Lotfi Ben Jeddou, dont nous n’arrivons pas à ce jour à déterminer l’appartenance quoique de notoriété publique, il appartiendrait à la mouvance islamiste.
Absence de transparence et manipulation des électeurs !
Philippe Bouvard avait dit que «Le combat politique récompense surtout l’opportunisme rebaptisé courage quand les professionnels du suffrage universel savent attendre longtemps».
C’est le cas aujourd’hui de la Tunisie, ce n’est pas tant la présence d’Ennahdha au gouvernement qui est considérée comme une trahison, c’est plutôt le fait de ne pas avoir honoré des promesses faites à des électeurs qui n’ont pas cessé de défendre leur modèle sociétal. On avait promis aux électeurs de Nidaa et des partis progressistes qu’il n’y aura pas de partis rétrogrades aux rennes du pouvoir, on a failli à cet engagement en justifiant la décision de mettre des représentants du parti islamiste dans des postes clés par la nécessité d’avoir le quorum à l’Assemblée des représentants du peuple.
Nombreux sont ceux qui avaient assuré qu’une fois BCE au Palais de Carthage, tout le reste relèverait pour lui du superflu, nombreux sont ceux qui ont cru en lui et qui se sentent aujourd’hui floués. On oublie les élections municipales et les Tunisiens sont très réactifs…
Le témoignage de Sahbi Ben Fraj, député de Nidaa, explique clairement la trahison de son parti: «dans le contexte actuel, le silence des uns et des autres doit être considéré comme un acte de complicité. Nous avons été, en tant que députés, coupés de tous les centres de décision de notre parti, nous qui voulions respecter les promesses faites à nos électeurs. Nous avions affirmé haut et fort que l’alliance avec Ennahdha n’était pas à l’ordre du jour et que nous pouvions négocier avec le Front populaire et les indépendants. Cela ne fut pas, les négociations ont eu lieu avec Ennahdha…. mercredi 21 janvier, 4 députés de Nidaa ont été voir Habib Essid pour lui faire parvenir notre position. La réponse a été rapide: pas de Ennahdha».
Un grand travail de lobbying a été fait, affirme M. Ben Fraj, malheureusement, après avoir récolté 124 voix pour avoir le vote de confiance, tout a été bouleversé dimanche 1er février pour qu’Ennahdha entre de plain-pied au gouvernement.
Aujourd’hui Nidaa Tounes aura le vote de confiance pour le gouvernement Essid, revu et révisé à maintes reprises, mais il a perdu des centaines de milliers d’électeurs et surtout d’électrices lesquelles, au pire, s’abstiendront de voter, et, au mieux, voteront un autre parti plus respectueux de leur volonté et plus engagé dans ses promesses.
Car ce qui se joue aujourd’hui à l’Assemblée des représentants du peuple s’appelle tout simplement la grande arnaque. Une arnaque qui a permis d’accorder au députés pleureurs de Nidaa Tounes des sièges ministériels alors que la question ne se posait même pas et de s’associer avec le parti islamiste alors que l’on voulait un gouvernement différent et un nouveau mode de gouvernance.
Aujourd’hui, il n’y a pas une seule Troïka, il y en a plusieurs, par contre le patriotisme, même la tête chercheuse d’un missile high tech de haute portée en trouverait difficilement.