Le Kremlin accentue son emprise sur l’internet russe

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à Moscou, en 2012 (Photo : Sergei Supinsky)

[06/02/2015 10:29:27] Moscou (AFP) Après avoir connu des restrictions inédites en 2014, l’internet russe pourrait connaître un nouvel assaut du Kremlin, qui a fait adopter une série de lois permettant de resserrer son emprise sur le cyberespace russe, devenu à ses yeux à la fois outil stratégique et menace.

Dernier espace de liberté dans un paysage médiatique cadenassé par le pouvoir, l’internet russe a subi en 2014 “une hausse inédite des tentatives des autorités russes de le verrouiller, avec un volet de lois répressives”, s’inquiète Sarkis Davidian, à la tête de l’Association russe des Internautes et qui a participé à la rédaction d’un rapport publié jeudi.

L’année passée, les autorités russes ont limité 2.591 fois l’accès au web à des internautes, soit une hausse de 141% par rapport à l’année précédente, d’après le rapport.

“La tendance devrait se confirmer en 2015. Nous vivons une année charnière pour l’internet russe, l’année de tous les dangers”, souligne-t-il.

Au coeur des inquiétudes, l’entrée en vigueur d’une loi qui contraint les entreprises web, russes et étrangères, à stocker les données de leurs utilisateurs en Russie.

“C’est une grosse pierre d’achoppement entre les géants d’internet et les autorités russes. Si les entreprises perdent leur combat, la Russie risque de devenir une nouvelle Chine”, dont l’internet est fortement censuré, relève M. Davidian.

En décembre, la compagnie américaine Google a pris la décision de transférer tous ses ingénieurs hors de Russie. “On prend nos précautions”, a confié à l’AFP une source au sein de l’entreprise.

Pour l’expert Alexeï Makarkine, “cette loi pourrait annoncer la volonté des autorités de couper l’internet russe du réseau global”.

– Des Russes lambda visés –

Si 2014 est synonyme de recul des libertés des internautes, c’est à cause d’une loi, entrée en vigueur en février, qui permet sur simple ordre d’un procureur de bloquer l’accès à des sites internet, analyse M. Davidian.

“Le procureur cible généralement des journalistes, des blogueurs ou des médias de l’opposition, mais parfois aussi des Russes lambda”, souligne-t-il.

Vladimir H., 46 ans, fait partie de ces derniers. “Du jour au lendemain, mon site, qui vend des e-books, a été bloqué parce que mon adresse IP ressemble à celle d’un site déjà interdit”, explique-t-il à l’AFP.

“Avant, le Kremlin ne contrôlait que notre vie réelle, maintenant ils veulent aussi contrôler notre vie virtuelle”, dénonce le jeune Russe, qui a dû passer devant plusieurs tribunaux avant de pouvoir obtenir la remise en ligne de son site.

Au total, Roskomnadzor, l’autorité de surveillance des médias, a exécuté cette année 1.448 requêtes du Parquet contre seulement 514 en 2013, apprend-on dans le rapport.

Les raisons pouvant provoquer le blocage d’un site sont sans cesse élargies, note Alexeï Makarkine: “Parfois, elles ne sont même pas précisées afin de ne pas pouvoir être corrigées, et le site reste bloqué plus longtemps”.

“On croirait que l’Etat invente au fur et à mesure l’interprétation des nouvelles lois”, s’agace M. Haritonov.

Reposter sur Vkontakte, l’équivalent russe de Facebook, un message portant sur une manifestation peut désormais mener à une amende voire à une arrestation, comme l’a appris à ses dépens Oxana Borissova, étudiante de 21 ans, arrêtée brièvement fin janvier.

“Comme elle a aidé à diffuser ce message, Oksana est considérée par la justice comme l’une des organisatrices du rassemblement”, explique son avocate à l’AFP, Tatiana Myzguima.

– La censure, populaire en Russie –

Pour le député Vadim Denguine, à la tête du Comité sur l’information politique, ces nouvelles lois permettent “de rétablir l’entière responsabilité des citoyens sur le web, qui n’est pas une zone de non-droit”.

“On peut s’énerver contre le président, mais il faut que ce soit des remarques constructives”, explique-t-il. “D’ici peu, nous aurons un Internet aux frontières limitées. Cela nous permettra de contrôler ce qu’on peut faire chez nous et ce qu’on ne peut pas”.

Déjà échaudé par les manifestations organisées via Internet qui ont rythmé la campagne présidentielle avant sa réélection le 6 mai 2012, le président Vladimir Poutine a fait d’une de ses priorités le contrôle d’Internet après le soulèvement populaire du Maïdan, à Kiev, qui a mené début 2014 à la destitution de l’ex-président ukrainien Viktor Ianoukovitch, explique M. Makarkine.

“Aux yeux du Kremlin, les Occidentaux souhaitent renverser le pouvoir en Russie. Il cherche donc à verrouiller internet, qu’il considère comme un de leurs outils”, explique l’expert, alors que Moscou et les Occidentaux connaissent leur pire confrontation depuis la fin de la Guerre froide.

Mais, rappelle-t-il, “n’oublions pas que la majorité des Russes soutient la censure sur internet, qu’ils voient comme lui comme une ressource et une menace”.