L’évènement: des émeutes ont éclaté, le week-end dernier, à Dhehiba et à Ben Guerdane, villages frontaliers avec la Libye relevant des gouvernorats de Tataouine et de Médenine. Le bilan des violents affrontements qui ont eu lieu, à Dhehiba, entre émeutiers et gendarmes, a été, particulièrement lourd: un jeune décédé des blessés graves, un poste de la garde nationale et trois maisons de fonction appartenant à des forces de l’ordre incendiés, et ce selon des informations concordantes (police, société civile et presse).
Gros plan sur les tenants et aboutissants de ces émeutes du sud est du pays.
A l’origine de cette fronde, des sources bien informées évoquent le blocage du transfert vers la Libye de marchandises compensées appartenant à des barons de la contrebande. Pour d’autres sources, les émeutiers revendiquent, simplement, la suppression de la taxe de sortie fixée à 30 dinars pour les personnes non-résidentes en Tunisie, en particulier les libyens lesquels viennent d’instituer une taxe similaire pour les tunisiens qui se rendent en Libye. Pour eux, la suppression des deux taxes contribuerait à l’intensification des échanges et, partant, à l’amélioration de leur situation.
A défaut de développement, la contrebande pour survivre
Pour les analystes et observateurs du sud-est du pays, ces émeutes ont des objectifs développementaux et rien d’autre. Ils estiment que depuis l’accès à l’indépendance, ces régions, bien qu’elles engrangent d’importantes ressources naturelles (pétrole, gaz, substances utiles…) et participent de manière significative au PIB, ont été marginalisées à dessein et n’ont jamais bénéficié en conséquence d’un quelconque intérêt de la part de l’administration centrale.
Face à cette marginalisation et à la recrudescence du chômage et de la pauvreté, les communautés de ces régions ont trouvé dans la contrebande et le commerce parallèle la seule alternative pour survivre et s’assurer une source de revenu. Seulement ces dernières années, la contrebande dans ces zones a pris une autre tournure au point de constituer une sérieuse menace et pour la sécurité du pays et pour son économie.
D’abord, pour la sécurité du pays en ce sens où la contrebande est associée, de plus en plus, au terrorisme et au transfert d’armes en Tunisie. Vient ensuite l’économie nationale dans la mesure où les produits importés sont généralement des produits contrefaits et sans traçabilité.
Conséquence: tous les gouvernements qui se sont succédé ont été confrontés à ce choix cornélien, c’est-à-dire soit fermer la frontière dans l’intérêt supérieur du pays, soit tolérer la contrebande et ses conséquences. Le plus souvent, les gouvernements ont opté pour la politique de l’autruche et choisi la deuxième solution.
La responsabilité de la Troïka
Seulement, aujourd’hui, après le soulèvement du 14 janvier 2011, l’administration centrale n’est plus dirigée par l’autoritaire Bourguiba ou encore par le dictateur Ben Ali. Mieux, les élections du 23 octobre 2011 ont permis à des dirigeants originaires du sud du pays d’accéder au pouvoir. C’est le cas de Rached Ghannouchi, natif d’El Hamma, d’Ali Larayedh, ancien chef du gouvernement originaire de Médenine, et Moncef Marzouki ex-président provisoire enfant de Kébili, et bien d’autres ministres et hauts cadres du pays.
La question qui se pose dès lors: pourquoi ces dirigeants, qui avaient gouverné le pays pendant trois longues années et disposé de toutes les légitimités et de budgets conséquents, pour engager un processus de discrimination positive au profit de ces régions, n’ont rien fait? Pis, ils ont mené l’économie du pays à la banqueroute, fragilisé les institutions de l’Etat, introduit le terrorisme et transformé les postes frontaliers en autoroutes pour les contrebandiers.
Paradoxe de l’Histoire, ces dirigeants incompétents, voir ces mêmes responsables qui n’ont rien fait pour le sud, ont trouvé, lors des dernières élections générales, dans cette partie de la Tunisie, un filon électoral inespéré et inestimable. Les électeurs du sud ont permis au parti d’Ennahdha d’arriver second aux législatives avec 69 sièges et auraient pu faire passer Marzouki aux présidentielles n’eut été le vote utile en faveur de Béji Caïd Essebsi.
Aujourd’hui, après la stabilisation du pays et la formation d’un gouvernement pour cinq ans, l’heure est au respect des institutions et de la loi. Il y va de l’intérêt de tous les Tunisiens sans distinction aucune.
Le recours à la violence est de nos jours inadmissible
C’est pourquoi le recours à la violence (incendie d’un poste de la garde nationale…) en cette période de démocratie est tout simplement inadmissible. Il est encore plus intolérable quand les émeutiers s’attaquent à un poste des forces de l’ordre chargé de la sécurité de la frontière. C’est tout simplement de l’irresponsabilité et de l’inconscience.
Moralité: la loi doit être strictement appliquée dans ce cas. Personne n’est au dessus de la loi.
Et si les habitants de Dhehiba et de Ben Guerdane veulent une solution à leurs problèmes, ils doivent en débattre tout d’abord avec l’administration régionale (gouverneurs, délégués…) et avec leurs représentants au Parlement et surtout avec la presse.
Plaidoyer pour une nouvelle pédagogie et communication gouvernementales
Pour sa part, le gouvernement est appelé à mener un gros travail de communication et de pédagogie destiné à mieux expliquer la situation du pays aux populations des villages frontaliers et à enclencher, en toute urgence, une dynamique de développement afin de contenir le mécontentement des gens du sud. En sa qualité de gouvernement permanent, sa mission est aussi d’identifier la mafia politico-financière, les commanditaires de ces émeutes et qui seraient, selon nos informations, les gros barons de la contrebande.
Quant aux prédateurs politiques qui veulent exploiter la situation, ils ont intérêt, pour la nième fois, à se taire quand ils parlent. C’est le cas de l’ex-président provisoire Marzouki. Dans un communiqué contradictoire publié au nom du Mouvement des citoyens, il indique qu’“en dépit du caractère pacifique des manifestations contre la dégradation de la situation économique et sociale dans la région (Tataouine), des citoyens ont été tués par les forces de l’ordre“, avant d’affirmer que “tout le monde doit être contre le commerce parallèle et la contrebande, qui détruisent l’économie nationale“. C’est le grand écart par excellence. D’un côté il justifie la politique du gouvernement et de l’autre il la condamne. Même à la retraite, ce personnage demeure nuisible.