Derrière les producteurs de porcs dans la tourmente, des milliers d’emplois menacés

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évrier 2015, pour protester contre la baisse du prix du porc (Photo : Damien Meyer)

[11/02/2015 07:31:29] Plérin (France) (AFP) La crise que traverse l’élevage porcin, sur fond d’embargo russe et de guerre des prix dans la grande distribution, risque d’avoir assez vite, sauf décisions rapides, des conséquences dévastatrices en terme d’emplois, bien au-delà des seuls agriculteurs, mettent en garde les spécialistes du secteur.

“Jusque 2007/2008, les cours suivaient un niveau un peu chaotique, mais régulier: une bonne année succédait à une moins bonne. Mais depuis 2008, il n’y a pas eu de belle année qui permette de compenser. Les producteurs n’ont plus de capacité de financement et voient les pertes s’accumuler”, s’alarme Georges Douguet, responsable d’études au CerFrance22, un centre de gestion et d’expertise comptable très implanté dans le milieu agricole.

2014 s’annonçait comme une belle année mais, selon un rapport du Marché du Porc Breton (MPB), la “gestion catastrophique” au plan européen de l’embargo russe, décidé fin janvier 2014 à la suite de cas de peste porcine sur des sangliers en Lituanie, a provoqué “une déstabilisation monumentale de tous les marchés”. A cet embargo russe, un pays qui représentait le quart des exportations européennes, s’ajoute la guerre entre grandes surfaces.

“On est dans une crise structurelle depuis plusieurs années et celle-ci s’aggrave d’année en année”, analyse Paul Auffray, président de la Fédération Nationale Porcine (FNP). Au plan national, “on perd 300 éleveurs par an en moyenne et on a perdu 10% de la production environ en dix ans (…) Toute la valeur ajoutée est captée par le distributeur”.

– Derrière les éleveurs, toute la filière –

“Le porc crée énormément d’emplois. Une exploitation porcine moyenne en Bretagne, c’est au total environ 11 emplois directs, soit deux fois plus qu’une autre production qui génère cinq emplois en moyenne”, souligne Georges Douguet.

Sur ces 11 emplois, 2,7 sont directement consacrés à la production, les autres étant des emplois en amont et en aval de la filière: emplois industriels dans l’agro-alimentaire, la fabrication d’aliments ou encore dans les services, selon les chiffres de la chambre régionale d’agriculture.

“Beaucoup d’éleveurs arrêtent, soit pour des raisons économiques, soit en raison d’un départ à la retraite mais sans avoir trouvé de repreneur (…) Ça se fait dans le silence le plus total”, déplore Jean-Pierre Joly, directeur du Marché du Porc Breton (MPB) dont les cotations, deux fois par semaine, servent de référence de prix d’achat du porc au plan national.

M. Joly cite l’exemple d’un producteur récemment parti en retraite sans successeur. “Il employait dix salariés sur sa ferme”, pas très loin de l’abattoir de Lampaul-Guimiliau (Finistère), qui a fermé fin 2013, contraignant près de 900 salariés au chômage. “Tout le monde s’est mobilisé quand Gad a fermé. Mais quand des producteurs arrêtent, personne ne bouge! Pourtant, tout le monde sait que les abattoirs ne vont pas tenir s’il n’y a pas assez de matière première”, regrette le directeur du MPB.

Derrière les éleveurs, “c’est toute la filière qui souffre”, renchérit Georges Douguet, rappelant les abattoirs normands AIM placés en redressement judiciaire début janvier avec 600 salariés.

Le kilo de porc a été coté lundi à 1,088 euro au marché au cadran du MPB à Plérin (Côtes d’Armor). “Actuellement, étant donné le coût de l’aliment, il faudrait que le marché soit au minimum à 1,30 euros le kilo pour que les producteurs s’en sortent”, constate l’expert-comptable.

Une situation difficilement tenable très longtemps pour les éleveurs dont les compétences sont pourtant largement reconnues. “Un gars installé depuis moins de dix ans, il ne sait plus comment faire. La banque l’appelle tous les matins pour savoir s’il va avoir des rentrées d’argent. C’est intenable”, s’alarme Didier Lucas, président de la FDSEA des Côtes d’Armor, premier département producteur au plan national, et lui-même producteur de porcs.

– 100.000 emplois –

Entre le coût de revient et le prix de vente, un élevage moyen de 200 truies perd actuellement 11.000 euros par mois, selon le responsable syndical. “22.000 euros sur deux mois. On continue comme ça combien de temps?”, s’interroge-t-il.

“Il y a un vrai problème de fond: est-ce qu’on préfère continuer à s’approvisionner n’importe où et nourrir des cohortes de chômeurs pratiquement gratuitement, ou est-ce qu’on veut que chacun paie un peu plus cher et donner un boulot au plus grand nombre?”, interpelle Jean-Pierre Joly. “D’autant, souligne-t-il, qu’avec de la viande française, ça ne ferait pas une grosse différence de prix pour le consommateur (…) On dit que l’agriculture n’est pas délocalisable. Mais c’est vrai seulement si l’on mange français!”. Or, dans les “GMS” (Grandes et moyennes surfaces, la grande distribution), on trouve “beaucoup de produits élaborés en France, mais peu de viande française”.

Ce que confirme Georges Douguet: “Les Allemands mangent allemand, les Danois mangent danois. En France, les producteurs souffrent d’un manque de civisme de la grande distribution qui, contrairement à nos concurrents, ne met pas en avant les produits français et s’approvisionne ailleurs”.

Les producteurs viennent de lancer une double offensive.

Après plusieurs actions d'”étiquetage” dans les départements bretons samedi dernier, les éleveurs bretons, dont la production représente en tonnage 58% de la viande porcine française, se rassemblent jeudi à la prochaine cotation, au MPB, à Plérin (Côtes d’Armor).

En outre sur le plan “diplomatique”, Paul Auffray entame cette semaine une tournée des centrales d’achat de la grande distribution pour leur faire comprendre que, “si on continue comme ça, on part pour des dépôts de bilan en cascade. La filière porcine, c’est 100.000 emplois. Cette guerre des prix est suicidaire pour notre pays”.

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