Il existe un déficit en matière des crédits alloués à l’économie en Tunisie, évalué à 10 milliards de dollars (19,37 milliards de dinars), a indiqué Laurent Gonnet, spécialiste du secteur financier pour la région MENA à la Banque mondiale, dans une interview accordée à l’Agence TAP.
D’après cet expert, le secteur bancaire tunisien est marqué par un manque de liquidité et une frilosité par rapport à la prise de risque en l’absence d’un environnement juridique favorable et d’infrastructures adaptées. Il a estimé que le fonctionnement de la centrale des risques au sein de la Banque centrale de Tunisie (BCT), n’est pas optimisé et nécessite une modernisation. Il a même proposé la création d’une centrale des risques privée pour plus d’efficacité dans la gestion des crédits.
Depuis la révolution, plusieurs facteurs (ralentissement économique, situation sécuritaire, variabilité des réserves de change) exercent des pressions à la baisse sur les liquidités bancaires, incitant la BCT à injecter davantage de liquidités dans le système.
Les opérations de refinancement de la BCT se sont élevées à 7 milliards de dinars, ce qui équivaut à près de 8% du PIB. Ces opérations de refinancement ont enregistré une hausse de 40% durant le 1er semestre de 2013. La moitié des 21 banques tunisiennes, sont en infraction par rapport à leur ratio de liquidité.
Depuis septembre 2013, la BCT a commencé à mettre en pratique des conditions plus restrictives pour l’accès des banques à ces liquidités.
Une liquidité plus étroite ajoutée à un ralentissement de la demande de crédit de certaines entreprises surtout exportatrices, ont ralenti la croissance des crédits accordés par les banques commerciales. La BM, s’attend à une canalisation de la croissance du crédit vers les activités les moins risquées (grandes entreprises, établissements publics et particuliers).
Le secteur bancaire tunisien fait face à des défis importants, liés à la qualité des prêts, à leur solvabilité et leur rentabilité qui se sont détériorées ainsi qu’à leur octroi à des emprunteurs inappropriés. Le renforcement de la gouvernance au sein du secteur bancaire peut aider à surmonter ces défis, a souligné M. Gonnet.
16% de créances douteuses
Pour ce qui est des créances douteuses des banques tunisiennes, le spécialiste a relevé que leur taux s’élève actuellement à 16%. D’ailleurs, «le ratio des créances douteuses n’est jamais descendu au-dessous de 5%, alors que ce taux est de l’ordre de 2 à 3% dans un pays tel que le Maroc».
Il cite trois raisons à l’origine de cette situation. Primo «un régime des faillites laxiste, très protecteur des débiteurs, dont beaucoup abusent étant donné que ce système comporte très peu de sanctions. Ceci explique pourquoi certains mettent à profit cette situation dans le secteur du tourisme». Dans cette conjoncture, «les garanties exigées par les banques sont excessives (180% pour un crédit de 100), ce qui constitue le plus haut taux de surcollatéralisation de la région MENA».
Secundo, la BCT fixe le TEG (taux d’intérêt effectif global) à 20% au-dessus des taux clients pratiqués par les banques et ce taux s’applique aux bons et aux mauvais clients. Or, les PME présentent plus de risques pour les banques, lesquelles ne peuvent les financer à un taux ne couvrant pas les risques encourus. «Pour ce qui est du taux de crédit à la microfinance, qui est de l’ordre de 25 à 30%, il ne faut pas l’écraser pour ne pas exclure de ce type de crédit, des populations qui en ont besoin», a affirmé M. Gonnet.
Tertio, les banques tunisiennes ne développent pas de critères d’octroi des crédits mais demandent plutôt le maximum de garanties et privilégient leurs clients. «La Tunisie a bien crée la Banque de Financement des Petites et Moyennes Entreprises (BFPME), mais cette dernière ne détient que 4% de parts de marché des PME. La Banque est, en plus, grevée par un taux élevé de créances douteuses (au-dessus de 50%) qui érodent ses ressources propres. L’Etat devra la recapitaliser en 2016», estime l’expert.
Pour cette raison, la BFPME n’est pas éligible à la ligne de crédit de 100 millions de dollars que la BM met à la disposition des micro, petites et moyennes entreprises en Tunisie.
Pour relancer le secteur bancaire tunisien, le spécialiste propose de réformer le système des faillites en vue d’assurer plus d’équité entre le débiteur et le créditeur ainsi que de réformer le taux d’intérêt effectif global (TEG), en l’assouplissant progressivement, sans toutefois le déplafonner. Actuellement, «la différence entre les taux d’intérêt pratiqués par les banques est de l’ordre de 3%, entre le plus mauvais payeur et le meilleur client. C’est le rôle de la BCT d’imposer un bon système d’appréciation des risques (mettre en place un système de rating interne des banques), ainsi que de mesurer les progrès enregistrés en matière d’inclusion financière, à savoir, évaluer le nombre de PME qui vont avoir accès aux crédits».
Restructuration des banques publiques
Les trois banques publiques concernées par la restructuration (BNA, STB et BH) représentent environ 34% du total des actifs du système bancaire national. Au niveau de la BH, M. Gonnet a relevé que le plan de restructuration a été adopté par le conseil d’administration (réduction de la masse salariale de 50%, investissement dans le système d’information qui connaît un retard considérable..), mais cet établissement bancaire est toujours en attente de l’augmentation de capital.
Le conseil d’administration de la BH a convoqué les actionnaires en AGE, le 18 février, pour statuer sur l’augmentation de capital de la banque de 80 millions de dinars (qui passera ainsi de 90 MD à 170 MD). «Reste également à absorber toutes les provisions de la BH pour les créances douteuses», a fait remarquer le spécialiste de la BM.
Concernant la STB, l’augmentation de capital de 650 millions de dinars a été votée, mais le plan de restructuration est toujours en cours de préparation.
La BNA est, de son côté, au stade de la finalisation du diagnostic et entame la phase d’élaboration du plan de restructuration.
Pour la Banque mondiale, le secteur financier tunisien reste relativement modeste et essentiellement, dominé par les banques dont les actifs s’élèvent à près de 115% du PIB. Plus de la moitié des crédits bancaires est octroyée aux entreprises du secteur industriel, au commerce et au tourisme alors que le reste est accordé au secteur public.
Le secteur non-bancaire est peu développé. Les marchés des capitaux et des titres à revenu fixe sont encore relativement, modestes et la capitalisation boursière est de l’ordre de 24% du PIB, alors qu’elle est de 112% en Jordanie et de 76% au Maroc. Le chemin de la restructuration du système financier national reste encore long et laborieux…