Le gouvernement Habib Essid permanent, issu des élections législatives et de la présidentielle et résultat d’un processus consensuel incluant les forces politiques les plus représentées à l’APR, osera-t-il trancher dans le vif et prendre les décisions qui s’imposent dans un contexte sécuritaire et socioéconomique extrêmement délicat pour le pays?
Lorsque Mehdi Jomaâ avait été désigné chef du gouvernement en 2014, nombreuses sont les voix qui s’étaient élevées pour l’appeler à revoir les nominations suspectes au sein de l’Administration et à remettre l’autorité et le prestige de l’Etat sur pied.
Mehdi Jomaâ ainsi que son gouvernement étaient la résultante de longues négociations menées par le quartet dans le cadre du dialogue national pour solutionner une crise politique qui n’avait que trop duré. Ils n’avaient pas la légitimité «du peuple» et n’étaient que des provisoires, ce qui justifierait, entre autres, leur incapacité à bouleverser le paysage administratif et institutionnel du pays.
Le gouvernement Essid aura-t-il aujourd’hui le courage et l’audace requis pour remettre les pendules à l’heure? Ou choisira-t-il la voie la plus facile, l’approche consensuelle décrite par l’auteur français Jean Botorel «d’aliénation joyeuse?». Les politiques tunisiens sont passés maîtres dans la pratique des compromis. Mais à quel prix?
Au prix d’une nouvelle culture non pas populiste mais populatiste. Au prix de l’absence totale du civisme qui nous manquait déjà douloureusement bien avant le 14 janvier. De celui de la disparition des termes «respect de la loi», discipline et rigueur dans nos administrations et établissements publics, dans nos rues, nos cités et mêmes nos universités et nos institutions scolaires.
La continuité de l’Etat: existe-t-elle en Tunisie?
Les décisions prises par un gouvernement sont annulées par l’autre, mettant à mal le principe de la continuité de l’Etat comme le fait d’avoir annulé le concours de la sixième pour l’entrée au collège. Les syndicats du corps enseignant ont eu gain de cause, eux qui se soucient si peu, dans leurs revendications purement financières, de la réforme de l’enseignement ou encore des valeurs et de la préservation de la sacralité des institutions scolaires. Eux qui ne se sont jamais prononcés franchement sur l’enrichissement de milliers d’enseignants grâce aux cours particuliers dispensés à gauche et à droite et au manque de qualifications et de compétences des uns et des autres.
Néji Jalloul, ministre de l’Education nationale, pourrait-il trouver un compromis avec les syndicats? Soutiendrait-il le principe de suppression du taux de 25% calculé dans la moyenne annuelle au baccalauréat ou se soumettrait-il au diktat des syndicats, des élèves et des écoles privées qui ont en fait un commerce juteux? Ou tomberait-il dans la compromission?
Le ministère de l’Intérieur: une agence de presse
Mais il n’y a pas que dans le ministère de l’Education que l’on a observé des régressions tous azimuts touchant presque tous les aspects de sa mission à commencer par les contenus des manuels scolaires où l’on parlerait même à des enfants de la torture de la tombe jusqu’à l’incompétence et l’absence d’une approche pédagogique convenables chez nombre d’enseignants en passant par le diktat des syndicats.
Il y a aussi cette violence verbale et physique devenue monnaie courante dans notre pays, du sud et nord, et dont témoignent les derniers incidents perpétrés dans les villes de Médenine et de Tataouine. Rien ne justifie la violence ou l’attaque des lieux de souveraineté. Et qu’on arrête de parler de marginalisation et de pauvreté. Dans ces villes, il y a certainement une partie de la population qui souffre de précarité mais les artisans de la violence sont les gros bonnets de la contrebande et leurs exécutants qui risquent de voir leur marge de manœuvre réduite par une plus grande présence de l’Etat.
Les revendications à l’origine des actes violents qui ont éclaté entre manifestants et forces sécuritaires à Dhehiba ne sont pas nouvelles, n’en déplaise à Imed Daïmi, cet apprenti politicien, que l’on retrouve, comme par hasard, toujours à proximité des lieux à hauts risques. Pourquoi a-t-on préservé les gouvernements Jebali, Laarayedh et le président Marzouki pour se réveiller tout d’un coup?
Pendant ce temps, nous sommes dans la logique non pas du retour de la discipline mais de la préservation de la susceptibilité y compris celles des artisans du grand banditisme. Et Dieu sait s’il en existe. L’UTICA, elle-même, devrait revoir la liste de ses adhérents, peut-être y trouverait-elle des opérateurs privés spécialisés dans le business de la contrebande et de l’économie parallèle.
La Tunisie est devenue le seul pays au monde où les médias bénéficient d’une liberté débridée à tel point qu’elle peut avoir des incidences sécuritaires sur le pays, où chacun quel que soit sa place ou son positionnement estime qu’il doit donner son avis à propos de tout et de rien et dans la plupart des cas sur des sujets dont il ne comprend rien.
C’est toujours le seul pays au monde où au ministère de l’Intérieur l’obligation de réserve est un mot dénué de tout sens puisque les informations qui filtrent de ce ministère sont beaucoup plus nombreuses que celles publiées officiellement par le ministère du Tourisme dont le rôle est de valoriser l’image du pays. Le ministère de l’Intérieur est devenu presque une agence de presse tellement nous lisons ci et là dans les journaux des informations en émanant.
Le nouveau ministre de l’Intérieur ainsi que le secrétaire d’Etat chargé de la Sécurité en sont-ils conscients et oseront-ils prendre les mesures qui s’imposent pour mettre fin à cette hémorragie informationnelle?
Habib Essid compte-t-il, lui qui a, semble-t-il, toutes les prérogatives pour remettre de l’ordre dans un Etat chaotique, revoir les nominations et principalement dans les ministères de souveraineté et recadrer les débordements des uns et des autres? Osera-il redonner à la Justice sa dimension de justice pour tous pour rassurer citoyens et investisseurs? Aura-il le courage ainsi que son gouvernement de sévir dans les milieux de la contrebande transfrontalière qui sont en train de miner l’économie nationale sous couvert de misère et de marginalisation? Aura-t-il le courage de s’attaquer aux corrompus réseautés dans toutes les artères de l’Administration publique et dans les milieux d’affaires?
Le permanent osera-t-il ce que le provisoire n’a pas osé? La suprématie de la loi primera-t-elle désormais sur celle des enjeux financiers et politiques des seigneurs de la guerre post-14 janvier?
Habib Essid nous a promis des résultats en trois mois. C’est tout juste un clin d’œil avant début mars.
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