Même s’il n’avait pas tenu toutes ses promesses, le gouvernement Mehdi Jomaa, pris dans son ensemble, a réussi l’essentiel, en l’occurrence le recul de la menace terroriste et l’organisation, avec succès, des élections générales du pays. Ces élections ont eu pour mérite de consacrer la transition politique et de conférer aux institutions de l’Etat stabilité, légitimité et permanence. La Tunisie lui sera reconnaissante.
Mais pris individuellement, certains membres de ce gouvernement ont légué à leurs successeurs des mesures impopulaires, voire de véritables bombes à retardement lesquelles, si elles ne sont pas désamorcées à temps, risquent de plomber l’action du nouveau gouvernement.
Voici les grenades dégoupillées du gouvernement Jomaa.
L’impôt pour combler les déficits, une ligne rouge
Point d’orgue de ces problèmes, le soulèvement, dès la première semaine de la nomination du nouveau gouvernement, des communautés des zones frontalières du sud-est du pays: Dehiba et Ben Guerdane. Les habitants de ces postes frontaliers revendiquent, sous couvert de projets de développement générateurs d’emplois et de sources de revenus pérennes, la suppression de la taxe de sortie instituée il y a une année.
Cette taxe, fixée à 30 dinars pour les personnes non-résidentes en Tunisie, en particulier pour les Libyens -lesquels viennent d’instituer une taxe similaire pour les Tunisiens qui se rendent en Libye. Pour eux (les habitants de Dehiba et de Ben Guerdane), la suppression des deux taxes contribuerait à l’intensification des échanges et, partant, à l’amélioration de leur situation.
La mauvaise gestion du problème libyen
Le non-dit dans cette affaire serait en réalité «l’alignement de fait» du gouvernement Mehdi Jomaa sur les positions du gouvernement libyen reconnu internationalement (Est de la Libye) et l’occultation du gouvernement de Tripoli (ouest de Libye).
Face à cette première épreuve et au bilan lourd des violents affrontements qui ont eu lieu, à Dhehiba (un jeune décédé, des blessés graves, un poste de la garde nationale et trois maisons de fonction appartenant à des forces de l’ordre incendiés), tout indique que le gouvernement a l’intention de supprimer cette taxe et de calmer les populations de ces zones. Il s’agit manifestement d’un premier discrédit de l’ancienne équipe par le nouveau gouvernement.
Des grèves pendant tout un mois
La deuxième semaine du nouveau gouvernement ne sera pas de tout repos. Il aura à faire face à de nombreuses grèves sectorielles de gros calibre dont la grève des enseignants du secondaire (1- et 17 février 2015), la grève des postiers (18 et 19 février 2015) et grève des agents de l’Office national de la télédiffusion (21 et 22 février 2015).
La troisième semaine de son mandat sera également pleine de tourments. Les chauffeurs de taxi de la ville de Sfax menacent de faire grève le 23 février 2015 si leurs revendications ne sont pas satisfaites. Celles-ci consistent en l’annulation de l’augmentation des tarifs du GPL (Gaz de pétrole liquéfié) utilisé par les taxis.
Pour leur part, les étudiants des écoles nationales d’ingénieurs poursuivent leur grève déclenchée, depuis le 5 janvier dernier. Ils ingénieurs protestent contre la privatisation sans garde-fous des études d’ingénierie et revendiquent la soumission des écoles d’ingénieurs privées aux mêmes épreuves d’accès aux études d’ingéniorat dans les écoles publiques.
Le scénario de l’année blanche n’est pas, hélas, exclu avec comme conséquence désastreuse, le blocage de tout le système supérieur des études d’ingéniorat: les bacheliers de l’année 2014-2015 ne pourront pas avoir accès aux écoles préparatoires tandis que les étudiants des écoles préparatoires qui réussiront au concours national de la présente année ne seraient pas admis dans les écoles d’ingénieurs. Pour le moment les cours sont suspendus, la plupart des examens semestriels n’ont pas eu lieu.
Prix : risques de recourir à la tarification
Autre bombe à retardement que le nouveau gouvernement se doit de désamorcer, celle du surendettement du pays après l’émission à la Pyrrhus d’un nouvel emprunt obligataire de plus de 2 milliards de dinars et celle de la cherté de la vie et des prix élevés.
L’ancienne ministre du Commerce et de l’Artisanat, Najla Harrouch, n’a pratiquement rien pu faire pour les maîtriser. Son successeur, Ridha Lahouel, «menace de recourir à la tarification de certains produits, dont les prix continuent d’augmenter, si un accord n’est pas trouvé avec les organisations professionnelles sur la maîtrise des prix». Conséquence: des bras de fer entre les parties concernées pointent à l’horizon.
Mention spéciale pour le nouveau ministre de l’Education Néji Jelloul, qui a anticipé en désamorçant la bombe de la ré-institution de l’épreuve de la sixième en décidant de la suspendre pour l’année en cours.
Cela pour dire que le legs de l’équipe Mehdi Jomaa sera, à lui seul, une préoccupation et un dossier difficile à gérer pour le gouvernement Habib Essid..