Les Somaliens privés d’argent par les règles bancaires antiterroristes

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à un comptoir Juba Express à Mogadiscio le 12 février 2015 (Photo : Mohamed Abdiwahab)

[22/02/2015 13:09:56] Mogadiscio (AFP) Destiné à enrayer le financement du terrorisme, le durcissement des règles bancaires américaines touche durement les Somaliens: parmi eux les quatre enfants de Mohamed Adan, un habitant de Mogadiscio, désormais privés d’école.

L’argent que le frère de Mohamed Adan lui envoie des Etats-Unis, où il gère un petit commerce, paie leur scolarité. Mais, les transferts d’argent en provenance des Etats-Unis, dont dépendent de nombreux Somaliens pour survivre dans un pays dévasté et plongé dans le chaos depuis plus de 20 ans, sont désormais suspendus.

“Pourquoi quelqu’un empêche-t-il mon frère d’aider ma famille”, demande Mohamed Adan, qui sort, les mains vides, d’un “hawala”, un bureau de transfert d’argent.

Le système de la hawala permet à l’expéditeur de déposer à un guichet d’une compagnie quelque part dans le monde une somme d’argent, remise quelques instants plus tard à son destinataire, à des milliers de km de là, en Somalie notamment.

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é de Juba Express à Mogadiscio le 12 février 2015 (Photo : Mohamed Abdiwahab)

Ce système sans transmission physique de moyen de paiement, basé sur des compensations et la confiance entre les différents acteurs du réseau, remonte au Moyen-Age et est utilisé à travers le Moyen-Orient, en Afrique du Nord et dans la Corne ou en Asie du Sud.

Il est bien meilleur marché, plus rapide et plus efficace que les services proposés par les banques et permet notamment d’atteindre des zones dépourvues de système bancaire.

L’hawala, qui laisse peu de traces écrites, est certes utilisé pour financer des activités terroristes -notamment les attentats du 11-Septembre- mais aussi par des millions de Somaliens qui dépendent uniquement de l’aide de leurs proches émigrés à l’étranger.

“Nous utilisons cet argent pour survivre, pour assurer un avenir à nos enfants”, explique Mohamed Adan, “que sommes-nous censés faire désormais?”, demande Mohamed Adan.

– Décision ‘catastrophique’ –

Dans les pays occidentaux, les entreprises pratiquant le transfert de fonds doivent être adossées à une banque traditionnelle –concrètement avoir des comptes dans ces banques. Mais en Somalie il n’existe pas de système bancaire formel.

Chaque année, la diaspora somalienne envoie environ 1,1 milliard d’euros en Somalie via la hawala, soit plus que ce que le pays reçoit en aide internationale annuelle.

Début février, la Merchants Bank of California, qui héberge aux Etats-Unis les comptes de la majorité des entreprises de transfert d’argent vers la Somalie, a décidé de les fermer. La banque américaine a expliqué à ses clients être incapable, en raison de “la complexité de leur activité”, de se conformer aux exigences du gouvernement américain lui demandant d’améliorer ses procédures pour détecter d’éventuelles violations de la loi.

Selon Degan Ali, directeur de l’ONG Adeso, la décision “catastrophique” de la Merchants Bank va priver les Somaliens de 80% des 200 millions de dollars envoyés chaque année par leurs proches depuis les Etats-Unis.

Les Somaliens vont “perdre le seul canal formel ou transparent pour recevoir de l’argent”, estiment Adeso et Oxfam dans un rapport conjoint, alors que “près de 750.000 Somaliens sont en sévère insécurité alimentaire, un nombre susceptible d’augmenter si les entreprises de transfert ne peuvent plus remettre de fonds”.

Les banques américaines, britanniques ou australiennes se montrent réticentes à conserver les opérateurs de hawala parmi leurs clients, de crainte d’être poursuivis pour complicité de financement du terrorisme ou de blanchiment.

Une banque australienne a annoncé qu’elle fermerait ces comptes en mars. L’an dernier, la britannique Barclays avait pris une décision similaire mais Londres a mis sur pieds un système temporaire pour permettre aux transferts de se poursuivre.

– ‘Puisse Allah nous aider’ –

Adeso et Oxfam estiment le blocage des transferts contreproductif, susceptible de favoriser les tranferts clandestins et hors de toute surveillance, ce dont vont tirer parti les réseaux criminels et les islamistes somaliens shebab.

“Des réseaux informels (…) vont certainement remplacer l’actuel système, dans lequel les acteurs sont responsables vis-à-vis des autorités et des communautés qu’elles servent”, avertissent Adeso et Oxfam, “les familles qui dépendent de ces versements vont souffrir alors que les réseaux criminels qui cherchent à exploiter le système vont en tirer bénéfice”.

Le Premier ministre somalien Omar Abdirashid Ali Sharmarke a assuré que son gouvernement essayait d’empêcher la fermeture des services de transfert depuis les Etats-Unis, qui aurait “un impact astronomique” sur l’économie dévastée de la Somalie.

La Somalie, plongée dans le chaos et livrée aux milices de chefs de guerre, aux gangs criminels et aux groupes islamistes depuis la chute de l’autocrate Siad Barre en 1991, tente péniblement de se reconstruire, à la faveur du recul militaire des shebab, chassés depuis deux ans de la quasi-totalité de leurs bastions, dont Mogadiscio.

Mais la violence continue et la situation humanitaire demeure difficile. Safiyo Hassan, mère de six enfants, ne survit que grâce à l’argent que lui envoie son beau-frère, réfugié aux Etats-Unis depuis 1993.

“Nous recevions de l’argent chaque mois des Etats-Unis pour payer les frais scolaires des enfants et acheter à manger”, dit-elle, assurant qu’elle et son mari, bien que sans emploi, n’ont jamais recours aux ONG.

“Désormais nous ne recevons plus d’argent”, poursuit-elle tristement, “puisse Allah nous aider”.