Le vent de l’instabilité et des revendications sociales a soufflé très fort sur la Tunisie ces 5 dernières années, faisant autant de victimes parmi les entreprises que parmi les travailleurs. Deux acteurs économiques dont les destins sont liés étroitement l’un à l’autre ont été sacrifiés sur l’autel des surenchères syndicales et à des ambitions démocratiques vouées à l’échec devant la débandade économique que vit le pays depuis le 14 janvier 2011.
Comment Petrofac a résisté à la pression sociale? Imed Derouiche nous répond dans cette deuxième partie de l’entretien accordé au WMC.
WMC : Comment avez-vous négocié la paix sociale au sein de Petrofac?
Imed Derouiche: En ce qui concerne le social, je reconnais que nous n’avons pas subi la pression endurée par les sociétés nationales. Le Groupe chimique a été acculé à recruter 9.000 employés, la STEG 3.000 en une journée, et Tunisair 2.700 -dont ils veulent, dans le cadre du plan de sauvetage de la compagnie, renvoyer une partie.
Toutes ces manifestations et la pression de la rue pour revendiquer le droit au travail justifieraient-elles ces recrutements massifs? Etait-ce la bonne solution? Bien sûr que non.
Un simple exemple: peut-on conduire un camion à deux? C’est inconcevable. A une époque, dans les cockpits des avions, il y avait le pilote, le copilote et le mécanicien d’avion. Aujourd’hui, le concept a évolué, le mécano s’installe dans un siège avec les passagers et contrôle tout juste le décollage et l’atterrissage. De même, un véhicule de 4 places ne peut supporter 20 passagers. La conséquence en est l’érosion par le bas, et ça ne peut en aucun cas présenter des solutions durables et efficaces.
Prenez l’exemple de certaines sociétés mixtes en Algérie, elles ont fait faillite, parce que le but même de leur création était de satisfaire à des impératifs sociopolitiques et non pas économiques. C’est ce que nous appelons l’équilibre métastable. C’est comme si quelqu’un se tenait en position renversée, si on en est loin, il arrive à se maintenir en équilibre juste pour un petit moment, mais si on le pousse un peu il tombe.
Nous sommes en train de renforcer la fragilité et l’instabilité de toutes ces compagnies nationales. Il faut avoir le courage de dire qu’elles sont vouées à la faillite. Nous sommes en train de faire reculer les échéances mais il faut attendre l’addition. En 2017, il faudrait désigner un boxeur à la tête du gouvernement pour qu’il puisse sauver le pays. Je voudrais comprendre comment le gouvernement fera pour s’en sortir avec une économie aussi fragile. Il va falloir suivre une autre approche. Je ne prétends pas avoir des solutions toute prêtes, mais ce qui est sûr, c’est que nous ne pouvons pas continuer sur cette lancée. Nous sommes en train de dispenser un traitement homéopathique de problèmes structurels.
Oui mais il y a près de 700.000 chômeurs qui doivent être absorbés par le marché du travail. Il faut bien leur trouver des débouchés…
Il y plus de 600.000 chômeurs, avec 200.000 diplômés qui ne répondent pas à la demande du marché de l’emploi. Donnez-moi une équation ou un transformateur qui réussisse à les convertir en une main-d’œuvre sollicitée par le marché du travail ou, au pire des cas, à en absorber un nombre bien déterminé.
Dans l’absolu, personne ne peut éradiquer le chômage, le nombre de chômeurs aux USA fait 5 fois la population de la Tunisie.
Quand Ben Ali a subi la pression de la révolution, il n’a pas pu se prononcer. Il avait fait appel à Hédi Djilani, à l’époque président du patronat, et avait prétendu pouvoir créer des emplois pour 300.000 jeunes. Mais personne ne pouvait et ne devait s’y engager parce que cela n’est pas aussi simple.
Il faut commencer par le début: la création de richesses, l’investissement et la disponibilité sur le marché de l’emploi de main-d’œuvre correspondante à ses exigences, il y a aussi tout un environnement qui doit être propice au développement des investissements. Il n’y avait rien de tout cela dans notre pays.
Pensez-vous que le gouvernement conduit aujourd’hui par Habib Essid pourrait venir à bout de toutes ces entraves?
Il faut tout d’abord commencer par reconnaître que la véritable phase transitoire vient tout juste de commencer dans notre pays. Celles qui l’ont précédé ont été plutôt caractérisées par le chaos. D’ailleurs, la loi électorale ne pouvait produire une meilleure représentativité ou de meilleurs décideurs pour notre pays.
Parlons plutôt de vous en tant que société pétrolière, comment est la qualité de vos relations avec l’Etat?
Nous sommes les associés de l’Etat et nous respectons le contrat signé avec les pouvoirs publics depuis des années. Pour l’instant, nous nous limitons à approvisionner la STEG pour la production de l’électricité. Mais notre compagnie a besoin d’élargir ses activités. La Tunisie représente 1% du chiffre d’affaire et 80% du taux des problèmes de Petrofac de par le monde. Cela ne fait pas lourd du tout. Ce qui nous maintient en Tunisie ce sont les bonnes relations que nous entretenons avec les pouvoirs publics et nos partenaires ainsi que l’affection que porte le président de la firme pour notre pays.
Je suis aussi le seul Tunisien à la tête de la compagnie en Tunisie. Mais il faut que la pérennisation de la présence de la firme dépende de nouveaux investissements. La raffinerie de la Skhira est une manne pour notre pays et notre gouvernement devrait oser s’y engager. Ça sera également un message positif. Pourquoi n’a-t-on pas pensé à nommer un secrétaire d’Etat chargé de l’Energie? N’est-ce pas une négligence ou une méconnaissance de l’importance du secteur dans notre pays?
Il est important d’avoir l’appui du gouvernement et des encouragements de sa part pour encourager les investisseurs, mais qu’en est-il de la responsabilité sociale d’entreprise comme la vôtre?
Nous sommes engagés dans le social depuis toujours et dans la discrétion la plus totale. Après le 14 janvier, nous avions estimé que si nous commencions à rendre nos actions publiques, nous ne pourrions plus nous en sortir car nous aurions devant nous des milliers de personnes qui viendraient demander du soutien et de l’aide, ce qui est bien entendu impossible.
Il n’empêche, nous faisons du social dans le cadre de nos activités. Sur notre chantier, il y a au moins une trentaine de personnes qui travaillent en plus de l’effectif dont nous avons besoin et c’est du social autant que la société de gardiennage qui emploie 70 personnes, pour ne pas garder grand-chose. Un contrat qui me coûte 1 million de dinars.
Après la révolution, nous avons été obligés de rendre publiques nos actions sociales dans les écoles de Kerkennah et les laboratoires des engrais, qui sont entretenus par Petrofac, ainsi que les ordinateurs offerts à nombre d’associations par nos soins. Nous faisons cela par conviction et volontairement, mais il ne faut pas que nos actions sociales deviennent l’objet de chantage de n’importe quelle partie.
Nous donnons au gouvernorat 800.000 dinars qui servent à payer des individus que nous ne connaissons même pas -500 dinars par personne, et nous ne savons pas ce qu’ils font et quel travail ils assurent. Nous y sommes contraints depuis le 14 janvier. Nous avons proposé de transformer cette contribution en un programme pour le financement de projets créateurs d’emplois, mais ils refusent au gouvernorat. Alors que nous, à Kerkennah, nous participons à la construction des routes, la maintenance de l’hôpital et des écoles, la fabrique de l’huile et l’éclairage par photovoltaïque. Aujourd’hui nous finançons tout l’éclairage des villes par le photovoltaïque. Nous sommes soumis au racket social. .