La polémique sur l’endettement du pays prend de l’ampleur avec l’accroissement de l’endettement extérieur (36,7 milliards de dinars en 2014, selon la BCT). Ce dernier s’est encore exacerbé après l’emprunt obligataire de 1 milliard de dollars contracté par le gouvernement tunisien sur le marché international, en janvier 2015.
Des experts ont mis en garde contre l’impact d’un tel endettement sur la souveraineté de la Tunisie, alors que des décideurs se sont félicités d’avoir réussi cette sortie sur le marché financier international, sans aucune garantie étrangère.
Pour l’universitaire Anis Wahabi, la dette cumulée de la Tunisie (extérieure et locale) a été portée “à plus de 49 milliards de dinars”, à la suite de cet emprunt, assorti d’un taux d’intérêt annuel de 5,75% et d’une maturité de 10 ans. “Cette dette représente 55% du PIB de la Tunisie. Chaque tunisien est désormais, redevable d’environ 4.500 dinars, en moyenne”.
Il a précisé, à l’agence TAP, que «le fardeau de la dette tunisienne devient encore plus lourd si on comptabilise les dettes des entreprises publiques, estimées à près 4 milliards de dinars».
Et d’ajouter que “l’endettement en Tunisie est devenu structurel, à cause de la persistance du déficit budgétaire (6% en 2015), d’où la nécessité de recourir aux crédits afin de combler ce déficit”.
L’utilisation de la dette est problématique
“Pour l’année 2015, les fonds générés par l’endettement s’élèvent à 7 milliards de dinars, dont 5 milliards de dinars seront alloués au budget de développement alors qu’environ 2 milliards de dinars serviront à financer, en partie, le budget de gestion et payer les nouvelles échéances d’endettement, ce qui va créer une spirale, dont nous ne pourrons plus sortir”, a-t-il estimé.
D’après Wahabi, l’endettement, en lui même, n’est pas problématique, mais le problème réside dans l’utilisation de ces fonds pour financer des dépenses courantes, au détriment de l’investissement et de la création de richesses.
Dans le même contexte, il a révélé que la dette tunisienne devient encore plus lourde, d’autant plus qu’une proportion de 68% des emprunts est contractée en devises, auprès de l’étranger.
“Nous sommes doublement sanctionnés par un taux d’intérêt élevé et surtout par la dévaluation du dinar, puisque toute baisse de la valeur du dinar de 10 millimes, par rapport aux devises étrangères, affecte le budget de l’Etat, lors du remboursement de la dette, d’un surcoût à hauteur de 30 millions de dinars”, a-t-il précisé.
Le taux d’endettement tunisien demeure dans les normes
Partageant ce point de vue, l’universitaire tunisien, Abderrazak Ben Maâtoug, a considéré que le problème réside dans l’orientation des dettes vers les dépenses de fonctionnement, notamment pour financer les charges salariales.
“Cependant, comparée à d’autres pays aux économies similaires tels que le Maroc, la Jordanie et l’Egypte, dont les taux d’endettement sont estimés, respectivement, à 64%, 70% et 94%, la Tunisie demeure dans les normes en ce qui concerne le taux d’endettement”, a-t-il ajouté, faisant preuve de beaucoup d’optimisme.
Toutefois, l’endettement qui injecte des liquidités dans l’économie du pays, qui ne sont pas le fruit du travail, engendrera, systématiquement, l’aggravation de l’inflation, a t-il souligné.
Par ailleurs, la dette génère aussi, d’après lui, un problème inter-générationnel, dans la mesure où le remboursement du principal et des intérêts, sont transférés aux générations futures.
Le coût de la dette tributaire de la notation du pays
Interrogé sur le coût de la dette, il a affirmé que celui-ci est tributaire de la notation du pays, ainsi que de la stabilité et de l’environnement économique, social et politique.
Pour lui, le taux d’intérêt de 5,75%, appliqué au dernier emprunt obligataire (1 milliard de dollars, correspondant à 2 milliards de dinars), “n’est pas exorbitant” eu égard à la notation “dégradée” du pays et sa sortie sur le marché international sans aucune garantie étrangère.
“Ce taux est moins onéreux que ceux appliqués pour les emprunts accordés à l’Espagne, l’Italie et la Grèce. Cette dernière s’endette, actuellement, à un taux avoisinant les 16%”, a argumenté M. Ben Maâtoug.
Est ce que la Tunisie est condamnée à l’endettement?, à cette question, l’universitaire a répondu que ceci est tributaire de la volonté des décideurs d’engager des réformes sérieuses et audacieuses.
“Il est, aujourd’hui, urgent de lancer des réformes, notamment dans le domaine fiscal pour drainer plus de recettes au profit de l’Etat et assurer une certaine équité fiscale”, a-t-il noté.
La Banque Centrale de Tunisie avait réagi dans une note d’information, à la polémique suscitée par le dernier emprunt obligataire, en convenant que son taux d’intérêt (5,75%) est plus élevé que ceux consentis pour les émissions conclues en 2014, qui étaient assorties d’une garantie gouvernementale étrangère.
L’institut d’émission avait considéré que cet emprunt va permettre de constituer un book d’investisseurs étrangers influents et d’attirer les IDE ainsi que de s’ouvrir sur les marchés de capitaux étrangers.
La Tunisie ne cesse de recourir à des emprunts étrangers, auprès des bailleurs de fonds internationaux, ainsi que des investisseurs et des gouvernements étrangers, alors qu’elle peine à relancer l’appareil de production, dans un climat social délétère (multiplication des grèves et des revendications sociales).
En effet, les pertes enregistrées dans le secteur des phosphates, uniquement, durant la période 2011-2013, à cause des protestations sociales, s’élèvent à 3 milliards de dinars, ce qui dépasse de loin la valeur du dernier emprunt obligataire (2 milliard de dinars).