Une piste de prospection sur la voie de l’internationalisation de la Bourse de Tunis serait d’implémenter l’expérience de la City de Londres. C’est à l’évidence un chantier complexe mais aux retombées incalculables. Why not?
A sa deuxième visite en Tunisie, Philippe Gautier a remis au goût du jour le débat sur le partage d’expériences entre la City de Londres et la Bourse de Tunis. Depuis quelques années, la place financière de Tunis souffre d’une ambition rentrée, celle de devenir une place financière off shore. On peut dire que le cadre immobilier pour abriter cette place, celui de Tunis Financial Harbour, a été conçu. Et lui aussi est en mal de réalisation.
Le spécialiste international en services financiers de UKTI a pu raviver le débat autour de la question. On a pu voir les autorités monétaires autant que les responsables boursiers se renflammer pour l’idée. L’idée a été remise en perspective et, du coup, elle réapparait comme plausible, d’autant qu’elle n’a jamais été totalement abandonnée et, comme on le verra, a reçu un début d’exécution sur le plan du trading et de la qualification des compétences.
Une première action “Bridging the Gap“ entre Londres et Tunis
Depuis son premier passage à Tunisie en 2009, quelques réalisations timides mais effectives ont bien eu lieu. A l’époque, le délégué international de UKTI -qui était en prospection- avait appelé à la nécessité de reconfigurer le marché. La conviction était partagée par tous les responsables tunisiens. Et grâce à une coopération avec la Bourse de Londres, un plan de qualification des intervenants en Bourse a été mis en place. L’Institut financier de Tunis a vu le jour et il délivre un niveau de certification aux standards internationaux.
Une réflexion commune a été initiée sur les voies et moyens de faire passer le cap à la Bourse de Tunis. Les visites croisées entre les opérateurs et responsables des deux marchés sont devenues régulières. La Bourse de Tunis n’a pas fait un réel effort de lobbying pour faire avancer la question. Cependant, la deuxième visite de Philippe Gautier a eu le mérite de donner forme à la question et de faire émerger une esquisse pour un plan d’action.
Il faut reconfigurer le marché
Adel Grar, président de l’AIB, considère que le tout est une affaire de choix de standard de marché. La Bourse tunisienne a fait le choix de rester sur un modèle de marché d’ordres. Et toute la microstructure, entendez l’écosystème du trading, de la Place de Tunis, favorisait principalement les petits porteurs. Il ne fait pas une grande place aux investisseurs institutionnels. Probablement que la Bourse de Tunis a été pensée comme un levier pour démocratiser l’actionnariat. Et, tout l’esprit des introductions en Bourse s’est fait en conséquence avec une large part de quotités destinées aux petits épargnants.
En bout de course, le marché est resté comme une enclave à l’écart et n’a pas suscité une dynamique de financiarisation de l’économie. En revanche, la bourse de Casa, à titre d’exemple, a choisi d’entrée de jeu de se profiler comme marché régi par les prix. En la matière, la différence de trajectoire d’expansion des deux marchés est bien nette à l’heure actuelle. La City de Casa est en meilleure posture pour s’ouvrir sur l’extérieur outre qu’elle impulse un fort courant d’IDE.
Quel apport pour les banques off shore et la finance islamique?
Nabil Chahdoura, manager chez TIB a rappelé à son tour la carence de vision à l’international de la Place de Tunis. Il considère que les banques off shore sont pénalisées dans leur rôle d’apporteur d’investisseurs internationaux. Le modèle en usage en matière de partenariat industriel favorise les délocalisations que les implantations de complexes économiques importants. De ce point de vue, il ne prépare pas le terrain à l’intervention des banques off shore.
Par ailleurs, de nombreux handicaps subsistent. Il y a les handicaps physiques contre lesquels on ne peut rien tel l’exiguïté du marché local qui peuvent dissuader les implantations de taille. Mais il y a aussi les entraves réglementaires et juridiques qui démotivent les banques off shore pour intervenir. La fiscalité est pénalisante. A titre d’exemple, ces banques sont taxées, pour leur position avec les banques locales, sur la totalité des intérêts de leurs opérations alors qu’elles devraient l’être sur la marge, de sorte à pouvoir déduire le coût de leurs ressources.
Quid de la finance islamique? Mohamed Salah Frad, DG d’UGFS (un fonds du Golfe) reconnaît que Tunis, à l’instar de Londres, peut connaître un important essor des transactions sur la finance islamique et lui-même considère que les objectifs peuvent être ambitieux en la matière.
Une décision courageuse
Tunis peut-elle s’inspirer de Londres en tant que hub financier planétaire pour s’émanciper à l’off shore? Rafik Mzah, juriste en chef du groupe Africinvest, considère que toutes les propositions de réformes suggérées par les opérateurs et responsables peuvent être assimilées par le droit tunisien. Du fait de la présence de son groupe à l’international, Rafik Mzah considère que le travail de reconfiguration tel qu’exprimé par Adel Grar notamment est tout à fait à portée. En effet, Adel Grar estime que l’heure est à un choix audacieux. La Bourse de Tunis a besoin de faire émerger des investisseurs institutionnels de taille et principalement dans le brokeradge de sorte à dynamiser le marché. En faisant émerger les ténors de marché, ces fameux brokers, le marché deviendrait régi par les prix. Et il se trouve que c’est la condition idéale pour apaiser les investisseurs internationaux car cela donne une prévisibilité au marché.
Par ailleurs, faire émerger une courbe des taux est tout à fait plausible aujourd’hui et cela ne fera que conforter la Place de Tunis dans sa volonté de passer à l’international.