Le CERES défend becs et ongles le devenir et l’indépendance de la recherche dans les filières des sciences sociales. Combat juste et légitime. Retour sur la scène nationale d’une institution longtemps marginalisée.
Le CERES est sans conteste l’un des acquis les plus importants de l’Etat de l’indépendance. C’est d’abord la preuve que la Tunisie indépendante a privilégié la recherche fondamentale dans les sciences sociales, par conviction. Les chefs historiques ont misé sur la promotion du savoir et de la connaissance pour l’édification d’un Etat qui va dans le sens de la marche du temps.
Le CERES a été ce bastion de la libre pensée dans notre pays. Il a ensuite été le phare de la résistance au régime. Jamais il n’a cherché à composer, jamais il n’a couru derrière les honneurs. Il a été servi par des hommes illustres et intègres, et il continue à l’être. La liberté d’esprit qui a marqué tous les travaux qu’il produit lui a valu une traversée du désert.
A l’occasion de son cinquantenaire, on assiste à un come back de cette institution prestigieuse qui revient avec des thématiques sensibles dans le débat national.
Une institution phare dédiée à la recherche dans les sciences sociales
A l’origine, le CERES a été créé par feu Mahmoud Messadi. C’était la première institution de recherche dans la Tunisie à l’aube de l’indépendance. C’était un vivier de compétences en matière de sciences sociales.
Le Céres a été présidé par des figures de proue du monde du savoir. Se sont succédé à la tête du Céres des personnalités tel que Mustapha Filali, une véritable puissance de feu et un esprit libre et inaliénable. Puis ce fut le tour de Chedly Ayari, du temps où il fondait la Faculté des sciences économiques de Tunisie et à l’époque où il était chef de file de l’école économique de Tunis. On cite encore Mahmoud Seklani, chef de file de l’école de la démographie en Tunisie, assistant d’Alfred Sauvy quand il officiait au Collège de France. Tous ont travaillé à hisser le Céres à un niveau de générateur de travaux de très haut niveau et à en faire le think tank de référence en matière de sciences sociales.
Ils ont travaillé à éclairer les pouvoirs publics mais jamais ils n’ont cherché à séduire le régime en place et encore moins passer sous sa coupe. L’indépendance, dès le départ, était le crédo du Céres, et cet engagement est entretenu en permanence. C’était la marque de fabrique du Centre. Ce dernier s’est opposé à toute tentative d’inféodation par le régime en place. Cela a valu aux chercheurs une certaine disgrâce du temps de Bourguiba qui qualifiait le centre de nœud de vipères. Leurs prises de positions se voulaient sous le strict couvert de la rigueur scientifique et non de la soumission aux choix du pouvoir.
Franc du collier, le Centre a pris le risque de vivre sous éclipse sous le régime de Ben Ali que de passer de l’autre côté du manche. La franchise de la recherche est à ce prix. Le Centre en est sorti indemne au niveau moral mais légèrement marginalisé par rapport à la scène publique actuelle.
Pr Mounir Chkondali, actuel directeur général, travaille à le réinsérer. Il a mis à profit le cinquantenaire du Céres pour appuyer son retour dans le champ public et lui restituer son statut d’avant.
Le “Potemkine“ de la pensée en sciences sociales
Le Céres a connu une existence mouvementée. Bourguiba avait de l’affection et de la répulsion pour ce centre. Il le voulait indépendant mais il s’accommodait mal de son autonomie. Il faut rappeler que le Centre ne manquait pas d’intervenir dans le périmètre de l’administration politique en lui faisant de l’ombre. Le pouvoir en place voyait mal comment ce vaisseau amiral de la prospective lui échappait des mains. Il vivait mal cette situation et mettait à l’index les chercheurs.
Le Céres a été un grand bastion de la résistance. Mohamed Charfi, membre du Céres et grand “perspectiviste“, avait subi les affres d’un marquage individuel poussé à l’extrême. Lors de la célébration du cinquantenaire du Centre, Pr Chedly Ayari relatait des péripéties vraiment épiques de la vie du centre.
Mohamed Charfi, recherché par toutes les polices de Tunisie, interdit de voyage, ayant pris le maquis, ne pouvait se présenter à sa soutenance de thèse à Paris. C’est un ami sûr qui a pris le risque de faire le voyage à sa place et de faire parvenir la thèse manuscrite à l’encadreur parisien de Mohamed Charfi. La thèse fut validée et le jury accepta de délivrer le doctorat en droit à Mohamed Charfi par contumace. C’est une première dans l’histoire de l’université. Et à ce jour, Chedly Ayari refuse de révéler l’identité du “passeur“ pour ne pas trahir le pacte.
Le Céres a également subi le courroux d’Ahmed Ben Salah mis à l’index par le Centre pour des écarts divers de politique économique. Avec Ben Ali, ce fut une rupture totale.
Dans la Tunisie post révolution, le Céres cherche à reconquérir son lustre et à récupérer son statut et à préserver son autonomie. Le moment est venu pour lui accorder l’audience qu’il mérite et les moyens dont il a besoin.