Avant les élections générales, les Tunisiens le savaient et ne se faisaient pas d’illusions. Pour eux, Béji Caïd Essebsi n’était qu’un simple arriviste disposé à faire tous les compromis pour peu qu’il accède à la magistrature suprême. Seulement, comparé, à l’époque de Marzouki, qui n’était qu’un moindre mal.
Moralité: ils n’attendaient pas grand-chose de ce bonhomme pour voir leur quotidien changer en mieux. Les premiers mois de la gouvernance de BCE leur ont donné raison.
Gros plan sur le comportement d’un président encore en hibernation.
Aujourd’hui, à la faveur du vote utile massif et de l’apport de 1,2 million bajboujettes (le nombre des femmes qui l’ont élu), BCE est l’ancien arriviste qui est arrivé ou «l’arriviste qui est arrivé» pour reprendre une formule du penseur Hichem Djaiet. Depuis plus de deux mois, il est président de la République.
Au cours de cette longue période (bien longue période), le pays a connu des événements dramatiques. Pour ne citer que les plus graves: émeute au sud-est du pays, assassinat d’un policier par des salafistes djihadistes dans la zone d’El Fahs, attentat meurtrier à Boulaaba à Kasserine, inondations catastrophiques à Jendouba et à Bousalem, découvertes de caches d’armes à Ben Guerdane…
Face à ces événements qui ont fortement secoué la jeune démocratie tunisienne et ébranlé le chef de gouvernement sous-traitant, Habib Essid, le nouveau locataire du palais de Carthage a préféré se taire et se terrer dans son nouveau bunker.
Tendance présidentielle à culpabiliser les sinistrés
Les rares fois où il s’est manifesté, il l’a fait par téléphone soit pour présenter ses condoléances à la famille du policier assassiné à El Fahs, soit pour intervenir sur les ondes de la radio nationale pour imputer aux sinistrés des inondations de Bousalem leur entière responsabilité dans la construction de leurs logements aux bords de l’oued Medjerda. Une maladresse de taille à la mesure des bourdes de son prédécesseur.
Le nouveau président a omis la responsabilité des services centraux, régionaux et locaux de l’Etat (municipalités, délégations, gouvernorats, AFH et SNIT) dans le lotissement des quartiers exposés aux crues, l’octroi des permis de construire, la construction de logements collectifs, l’alimentation en électricité et en eau par la STEG et la SONEDE et l’application de la loi au cas où elle aurait été violée…
Pourtant, ce qui lui est demandé c’est tout simplement un discours d’espoir, de solidarité et de compassion. Ce n’était pas trop demander à un fonctionnaire de l’Etat (le président) qui reçoit un salaire faramineux de 300.000 dinars environ par mois (13.160 euros au change), 86 fois le SMIG (348 dinars), selon le chercheur universitaire Mohamed Jemal.
Un président tourné vers l’offshore
La seule fois où BCE a osé pointer du nez en dehors du Palais, c’était pour clôturer les travaux de la Conférence internationale sur l’investissement et l’entreprenariat tenue, jeudi 5 mars 2015, et à laquelle avait participé une importante délégation américaine conduite par l’ancienne secrétaire d’Etat américaine, Madeleine Albright, et la ministre américaine du Commerce, Penny Prtizker.
Cette conférence était par ailleurs un non événement dans la mesure où elle s’était limitée à rappeler des problématiques récurrentes en Tunisie remontant aux années soixante-dix, en l’occurrence, l’urgence d’entreprendre des réformes structurelles profondes dont l’élaboration d’un nouveau code d’investissement, la restructuration du secteur bancaire, la douane, la fiscalité et le partenariat public/privé.
Pour les traduire dans les faits, BCE a quémandé l’aide américaine: «La Tunisie, a-t-il dit, a besoin de soutien pour entamer des réformes structurelles qui peuvent être parfois douloureuses».
Le président de la République a oublié une donne stratégique pour les Américains. Ces derniers n’investiront jamais dans un marché exigu comme celui de Tunisie. Ils n’ont d’intérêt que pour un marché ouvert de la taille du Grand Maghreb.
BCE, qui n’a jamais été un révolutionnaire ni un révolté, a oublié qu’après le soulèvement du 14 janvier 2014, les Tunisiens, pour peu qu’ils aient bonne gouvernance, équité des chances et lois applicables à tous, peuvent s’en sortir tous seuls. BCE semble avoir un autre avis.
Avec l’accumulation des problèmes et l’empressement des Tunisiens à voir leur vie s’améliorer, BCE risque gros et doit en rendre compte. Le mauvais rendement et l’immobilisme que connaît l’institution présidentielle, et surtout sa tendance fâcheuse, tout autant que ses proches collaborateurs, à ignorer et à banaliser les problèmes du peuple, ne sont pas, hélas, pour l’aider.
Espérons qu’avec l’avènement du printemps, il sortira de son hibernation.