Les indignés qui étaient descendus par milliers dans les rues lors du soulèvement du 14 janvier 2011 avaient scandé des slogans contre la corruption qui gangrenait, à l’époque, le pays. Érigée en système au temps de Ben Ali, la corruption avait plombé la croissance économique et dissuadé l’investissement, avec pour corollaire la pauvreté, le chômage, les inégalités sociales et régionales.
Depuis, la lutte contre la corruption était hissée au rang d’objectif de la révolution et avait bénéficié de tout un département ministériel. Mais petit à petit, cet intérêt institutionnel pour la lutte contre la corruption commençait à s’estomper, progressivement, avec les quatre gouvernements post-révolution. Ces derniers s’étaient employés à abandonner cet objectif révolutionnaire et à créer un vide institutionnel en la matière. Des experts dénoncent la manœuvre.
Selon Kamel Ayadi, expert anti-corruption, fondateur de la Commission permanente de lutte contre la corruption à la FMOI (Fédération mondiale des organisations d’ingénieurs) et représentant pour la Région MENA du Centre britannique de la lutte contre la corruption, «si les gouvernements Hamadi Jebali et Ali Larayedh lui avaient consacré tout un ministère, celui de Mehdi Jomaa lui a réservé juste un secrétariat d’Etat, tandis que celui de Habib Essid l’a abandonné complètement».
L’expert y relève une volonté politique et une tendance à éviter le terme de corruption et à le noyer dans l’appellation générale de gouvernance.
A preuve, au temps de Jebali et d’Ali Larayedh, ce ministère était dénommé «ministère de la Gouvernance et de la lutte contre la corruption». Avec Mehdi Jomaa, il portait l’appellation «secrétariat d’Etat chargé de la Gouvernance et de la Fonction publique».
Pour sa part, Samir Annabi, président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLCC), a mis à profit la célébration le 9 décembre de la Journée mondiale contre la corruption pour critiquer, sévèrement, dans un entretien accordé au journal La Presse de Tunisie, «le rôle des gouvernements successifs, de l’administration et la justice dans la lutte contre la corruption».
Il estime que l’Instance a été confrontée à plusieurs difficultés dès sa création après les élections de 2011: une absence totale de structure, de statut pour le personnel, d’organisation et de communication.
La Troïka a affaibli à dessein l’INLCC
«Monsieur anti-corruption» pense que les gouvernements de la Troïka ont contribué à l’affaiblir, lorsqu’ils ont “créé une autre structure, concurrente de l’INLCC, le secrétariat d’Etat chargé de la Gouvernance et de la lutte contre la corruption”.
La question qui se pose dès lors est de savoir à qui profite ce déficit institutionnel qui fait encourir au pays d’importants risques.
La décision du gouvernement Habib Essid de ne pas prévoir une institution d’au moins de la taille d’un secrétariat d’Etat dédié à la lutte contre la corruption fait planer beaucoup de doutes sur sa bonne volonté.
Elle intervient à un moment postrévolutionnaire où «la corruption se démocratise» pour reprendre les termes de Kamel Ayadi, à un moment où nous assistons à l’émergence en Tunisie de nouvelles formes de corruption: blanchiment d’argent, contrebande, contrefaçon, enrichissement illicite et, surtout, l’apparition de l’argent politique sale lors des dernières élections législatives et présidentielle…
En dépit de cette absence de volonté gouvernementale manifeste et ce sabotage officiel criard de toute initiative anti-corruption, il importe de garder espoir et de ne pas désespérer de la lutte contre la corruption au plan national, et ce pour deux raisons majeures.
L’espoir est dans la société civile et les normes internationales
La première consiste en la disponibilité d’une société civile dynamique qui fait en la matière un excellent travail de sensibilisation, de conscientisation et de formation, et ce à travers tout le pays.
La seconde est perceptible à travers les progrès accomplis à l’échelle internationale en matière d’études et de recherche sur la lutte contre la corruption.
A titre indicatif, l’Organisation mondiale de normalisation (ISO) va bientôt mettre en place une nouvelle norme internationale de système de management anti-corruption. Dénommée ISO 37001, cette future norme tiendra compte des bonnes pratiques internationalement reconnues de lutte contre la corruption. Selon l’ISO, elle sera applicable à toutes les organisations, quel qu’en soit le type, la taille et la nature d’activité, va bientôt se mettre en place dans les secteurs (public, privé et associatif sans but lucratif).
La norme comporte un ensemble de règles à suivre visant à prévenir la corruption. «Ces mesures incluent la direction au plus haut niveau, la formation, l’évaluation des risques, la diligence raisonnable, les contrôles financiers et commerciaux, les rapports, les audits et les enquêtes».
Conséquence: en matière de lutte contre la corruption, à défaut d’une volonté politique au plan national, les normes internationale sont là pour lutter efficacement contre ce fléau.
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