Bien que la majorité des experts et organisations nationales aient appelé à l’élaboration du projet de loi de finances complémentaire pour l’année 2015 afin de rectifier les hypothèses sur la base desquelles a été élaboré le budget de l’Etat pour 2015 et d’introduire des mesures adaptées à la situation économique et sociale du pays, le ministère des Finances n’a pas encore entamé la préparation dudit projet.
Or, le budget 2015 a été élaboré sur la base d’un prix du baril de pétrole à 95 dollars et le taux de change du dollar de 1,8 dinar, aujourd’hui, le prix du baril de pétrole est à moins de 60 dollars, et le dollar s’échange à près de 2 dinars.
Le chef du gouvernement, Habib Essid, avait annoncé, lors du vote de confiance de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le 4 février 2015, que le projet de la loi des finances complémentaires sera prêt en mai 2015.
Les organisations nationales ont présenté, dans des déclarations à l’Agence TAP, leurs visions et propositions pour le projet loi de finances complémentaire 2015, lesquelles se sont limitées principalement à la nécessité d’alléger la pression fiscale sur les contribuables, essentiellement pour les entreprises économiques, avec un rapprochement des visions pour la date d’élaboration de ce projet.
Au moment où les experts économiques ont appelé à la nécessité d’accélérer la préparation de cette loi pour faire face aux difficultés économiques, le ministère des Finances estime qu’il faut éviter la précipitation.
Il faut aller vite…
Anis Wahabi, membre de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie (OECT), estime impératif d’accélérer l’élaboration de la loi de finances complémentaires 2015 qui constitue, selon lui, un mécanisme à même d’inciter les opérateurs économiques et à créer un climat de confiance pour le milieu des affaires en Tunisie. D’après lui, le projet doit être élaboré avant le deuxième semestre de l’année 2015 en vue de booster les réformes économiques prévues, soulignant la nécessité de collaborer avec les organisations nationales, professionnelles et libérales pour l’élaboration de la loi.
Pour lui, le projet de la loi de finances complémentaires doit comporter de nouvelles réformes fiscales, proposant, à ce titre, l’annulation de la taxe de sortie de 30 dinars pour les étrangers eu égard à son effet négatif sur le secteur touristique.
Il a, en outre, indiqué qu’il faut conférer davantage d’efficience au contrôle et paiement fiscal, dévoilant que les dettes dues aux contribuables ont dépassé 4 milliards de dinars, soit l’équivalent du déficit des entreprises publiques.
Le membre de l’OECT recommande, dans ce contexte, d’accroître le nombre d’agents et cadres de paiement fiscal lequel s’élève, actuellement, à un millier de personnes, et de mettre à leur disposition la logistique nécessaire (moyens de transport) pour assurer leur travail.
Des garanties pour les personnes imposables
Taoufik Laribi, président de la commission fiscale à l’UTICA, demande à ce que la loi de finances complémentaire offre davantage de garanties aux personnes imposables et aux entreprises économiques connaissant des difficultés conjoncturelles ou structurelles. “Il y a lieu pour l’administration fiscale d’être plus compréhensive lors du redressement fiscal et de tenir compte de la situation critique des entreprises et opérateurs économiques”, a-t-il dit.
Laribi estime que les lois de finances précédentes et depuis 2013 comportent trop de mesures et réformes fiscales, ce qui a engendré, selon son point de vue, une augmentation des dispositions fiscales, notamment après l’introduction de réformes radicales, telles que la levée du secret bancaire, l’interdiction des transactions d’un certain plafond en plus de l’exclusion de près de 69% des secteurs soumis au régime forfaitaire.
Dans ces conditions, il affirme que la centrale patronale compte demander à l’administration de ne pas ajouter de nouvelles dispositions fiscales, mais d’adresser un message de confiance aux opérateurs économiques.
La réforme fiscale préparée par le ministère des Finances est entrée progressivement en vigueur au vu des nouvelles mesures fiscales appliquées depuis les lois de finances initiale et complémentaire de l’exercice 2014, a ajouté le responsable.
Il a proposé de renforcer le contrôle fiscal dans le cadre de la loi de finances complémentaire 2015 sur les personnes refusant d’accomplir leur devoir fical et d’alléger la pression sur les entreprises qui déclarent leurs revenus et celles confrontées à des difficultés financières.
Laribi demande également que cessent les accusations contre les chefs d’entreprise sur l’évasion fiscale, d’autant que l’administration fiscale est bien outillée pour découvrir ceux fuyant l’accomplissement de leur devoir fiscal.
L’endettement agricole
Concernant la loi de finances complémentaire pour cette année, l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) met l’accent, quant à elle, sur la nécessité de trouver une solution radicale à l’endettement du secteur agricole.
Abdelmajid Ezzar, président de l’organisation agricole, propose d’annuler automatiquement les dettes des agriculteurs ne dépassant pas 10.000 dinars et d’oeuvrer à faciliter l’accès au financement bancaire lors de l’élaboration du projet.
Il estime que l’endettement agricole constitue un dossier éreintant qu’il y a lieu de clore dans les meilleurs délais, afin de permettre à des milliers d’agriculteurs de revenir au cycle de production.
Ezzar rappelle que la loi de finances 2013 a comporté une mesure traitant l’endettement agricole de ceux dont la dette dépasse 10.000 dinars à travers le paiement de 10% de la dette principale puis l’abaissement des intérêts et des frais de pénalité, en plus du rééchelonnement de la dette.
Le président de l’organisation agricole indique que la loi de finances 2014 a traité le dossier de l’endettement à travers la déduction du principal de la dette et des intérêts pour les agriculteurs dont la dette est inférieure à 5.000 dinars. Il s’est interrogé sur le sort des agriculteurs dont la dette se situe entre 5 et 10.000 dinars, sachant que les lois de finances des années 2013 et 2014 ont traité l’endettement des agriculteurs ayant obtenu des crédits de plus de 10.000 dinars et inférieurs à 5.000 dinars.
Les négociations sociales
Selon un responsable du département des études au sein de l’UGTT, le projet de loi de finances complémentaire doit prendre en considération l’augmentation des salaires dans le secteur public et la fonction publique au titre des années 2014 et 2015.
Ce projet, qui sera vraisemblablement prêt l’été prochain, doit aussi contenir, d’après lui, des mesures fiscales s’inscrivant dans le cadre de l’approche de la réforme fiscale intégrale entamée début 2015.
Il s’agit, essentiellement, de mesures visant à renforcer le contrôle pour mettre fin à l’évasion fiscale, lutter contre la contrebande et mobiliser de nouvelles ressources financières à travers l’intégration des métiers non commerciaux au régime fiscal.
Selon le responsable de l’UGTT, la loi de finances complémentaires pour l’exercice 2015 sera sans grand apport si elle ne décide pas des réformes bancaires et n’insiste pas sur la réforme du système des marchés publics.
La LFC, plutôt au cours du second semestre 2015
Un responsable du ministère des Finances, qui a requis l’anonymat, estime que l’idéal serait d’élaborer le projet de la loi de finances complémentaires à partir du deuxième semestre de cette année.
Il a expliqué que le contexte actuel manque encore de visibilité, notamment au niveau du change du dollar et du prix du baril et que “ceci doit être pris en fonction parce qu’il pourrait introduire de nouveaux facteurs aux équilibres du budget de l’Etat”.
Aussi , la réforme fiscale intégrale et radicale ne peut se faire, selon lui, au milieu de l’année, car elle peut perturber la marche des entreprises. “Il faut laisser le temps au nouveau gouvernement, mis en place au début de l’année, pour étudier l’ensemble des dossiers, y compris le dossier de la réforme fiscale”, recommande-t-il.
D’après lui, le projet de loi de finances complémentaires ne va pas contenir des mesures fiscales mais des mesures “régulatrices” du budget à la lumière de la baisse du prix du baril de pétrole sur les marchés internationaux et la hausse du taux de change du dollar.