Au commencement, un article publié le 20 février 2015 par l’Association internationale des musulmans coraniques que préside le penseur Mohamed Talbi. Dans cet article, l’Association a rendu publique une conclusion, à l’issue d’une de ses réunions hebdomadaires, dans laquelle elle cite des versets coraniques affirmant que l’alcool présente à la fois des vertus et des méfaits. Conséquence, selon la conclusion de l’Association: étant donné qu’aucune référence coranique n’a formellement interdit de boire de l’alcool, tel qu’a été le cas pour la consommation de la viande de porc par exemple, les islamologues réunis affirment que l’alcool n’est de ce fait pas interdit par l’Islam.
Zoom sur une polémique qui n’a pas lieu d’être.
Cette conclusion, qui a irrité les cheikhs conservateurs farouches partisans de l’interdiction stricte de la consommation d’alcool au point de qualifier l’islamologue Talbi de «fou à interner», ne constitue nullement une surprise pour tous ceux qui connaissent cet essayiste qui a à son actif une vingtaine d’ouvrages.
Et pour cause. Cet islamologue s’est constamment défini comme un penseur libre en islam, un musulman coranique, laïc, moderne et rationnel, oeuvrant pour la rénovation de la pensée musulmane et luttant contre toute forme d’intégrisme.
Pourquoi un débat sur la halalisation de l’alcool?
Ce qui est étonnant par contre, c’est le timing de la publication de cette conclusion et son véritable intérêt pour les Tunisiens.
Elle est surprenante par son timing en ce sens où le déclenchement d’un débat d’une telle sensibilité et d’une telle ampleur intervient à un moment où les Tunisiens sont confrontés à moult difficultés plus contraignantes: terrorisme, contrebande, instabilité au flanc sud du pays, précarité de la vie, tension sociale, rudesse du climat.
C’est pourquoi l’engagement de ce débat a tout l’air d’une provocation de mauvais aloi. Certains y ont vu les relents d’une diversion, voire une tendance à détourner l’opinion publique de ses véritables préoccupations quotidiennes, et surtout des scandales publiés sur le Net à propos de l’enrichissement illicite d’anciens hauts cadres de la Troïka.
Cette conclusion ne présente, en outre, aucun enjeu pour l’ensemble des Tunisiens. Elle n’est d’aucun intérêt pour eux. En d’autres termes, que l’alcool soit “halalisé“ ou non halalisé par le coran, ce n’est pas un problème qui se pose à eux. C’est même une question secondaire et futile à la limite, et ce pour une raison simple.
La consommation d’alcool est autorisée en Tunisie. Les bars, restaurants et cabarets sont ouverts tous les jours de 8 heures du matin jusqu’à 4 heures du matin du lendemain. Cette tolérance a valu à la Tunisie de détenir «le sinistre» record d’être le premier pays arabe et le deuxième pays musulman en matière de consommation d’alcool. Sans commentaire.
Ennahdha a tout à gagner de la halalisation de l’alcool?
La question qui se pose dès lors est la suivant: à quelle partie ou à quel parti profite la publication d’une telle conclusion, surtout aujourd’hui et maintenant?
Les trois débats organisés par les animateurs de la chaîne El Hiwar Ettounsi n’ont pas beaucoup aidé à expliquer cette conclusion de l’Association internationale des musulmans coraniques. Ces animateurs, réputés pour leur anti-culturalisme structurel, ont misé plutôt sur le buzz en ridiculisant le penseur, âgé de 93 ans, rappelons-le. Ils n’ont pas cherché à pousser l’investigation pour connaître les tenants et aboutissants de cette conclusion.
Seul le journaliste et écrivain Hassen Ben Othman a pu débusquer l’islamologue. Invité de dernière minute, dimanche 8 mars, par l’émission «pour qui ose seulement», le journaliste n’est pas allé par quatre chemins, il a accusé Mohamed Talbi de faire le jeu du parti Ennahdha.
Pour ce journaliste averti, Ennahdha qui, par l’effet d’un rapport de force en sa défaveur, a toujours plaidé, dans ses discours, pour la coexistence pacifique des lieux de culte avec les bars et cabarets. Ce parti n’avait toutefois pas de référentiel intellectuel et coranique pour justifier cette orientation. Et c’est Mohamed Talbi qui vient de le lui fournir sur un plateau.
Interpellé sur ce scénario, le penseur a évité de répondre à la question. Bizarrement, il s’est contenté de faire l’éloge du gourou Rached Ghannouchi, de saluer son évolution politique et de la qualifier d’exploit.
La surprise a été, toutefois, la tendance du penseur à diaboliser, gratuitement, Bourguiba, donnant l’impression qu’il a bel et bien abandonné son passé bourguibiste et qu’il vient d’épouser une nouvelle cause, celle des Nahdhaouis.
Par ailleurs, si on pousse l’analyse de Hassen Ben Othman, il semble effectivement que la halalisation de l’alcool par Mohamed Talbi va servir, à l’international, l’image du parti Ennahdha. L’image d’un parti islamiste qui a réussi à accéder démocratiquement au pouvoir, à s’y maintenir et à remettre en question les interdits coraniques.
C’est de toute évidence une belle image à vendre. Mohamed Talbi aura, peut-être, contribué à sa confection.