Les économistes conseillant le gouvernement français s’en prennent à l’obsession budgétaire en Europe

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étaire en zone euro (Photo : Loic Venance)

[17/03/2015 14:55:46] Paris (AFP) Sortir de l’obsession budgétaire en zone euro et attaquer plus franchement les autres distorsions, en particulier la faiblesse des salaires en Allemagne: voilà ce que recommandent mardi deux économistes chargés de conseiller le gouvernement français.

“Il faut redonner du sens à une coordination qui a tendance à se perdre dans un pilotage bureaucratique”, constate pour l’AFP Agnès Bénassy-Quéré, professeur à l?École d’économie de Paris, qui signe une note en ce sens avec Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques.

Tous deux sont membres du Conseil d’analyse économique (CAE), instance indépendante rassemblant plusieurs chercheurs et chargée de conseiller le gouvernement. Elle est placée sous l’autorité directe du Premier ministre.

Dans leur analyse, les deux auteurs plaident pour ne pas réduire la coordination économique entre pays membres de la zone euro à la surveillance des budgets.

“La conception de l’Europe est très disciplinaire”, que ce soit pour ce qui concerne les budgets ou pour la politique monétaire confiée à la Banque centrale européenne (BCE), a remarqué pour sa part M. Ragot lors d’une conférence de presse.

Pour les deux économistes, il faudrait s’intéresser de plus près aux écarts de compétitivité et aux flux financiers privés, pour avoir une chance d’anticiper les crises.

Ils préconisent de simplifier les mécanismes existants de surveillance des déséquilibres, trop touffus, pour tenter de leur donner, dans le débat public, un écho comparable aux célèbres critères de Maastricht.

Pour faire pendant à l’obligation bien connue de maintenir le déficit public à moins de 3% du Produit intérieur brut (PIB), les auteurs de la note suggèrent de mettre en avant un seuil de compte courant à ne pas dépasser, ni en excès ni en déficit, de 4 ou 5% du PIB.

Le solde courant représente l’ensemble des échanges d’un pays avec le reste du monde, et permet d’observer s’il est trop dépendant de financements venus de l’étranger, trop peu exportateur, ou au contraire assis sur des réserves excessives qu’il faudrait réinvestir.

Pour l’heure, la Commission européenne, dans le cadre de sa “surveillance des déséquilibres macroéconomiques”, examine pas moins de “11 indicateurs et 29 sous-indicateurs”, relève M. Ragot.

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économique (CAE), instance indépendante rassemblant plusieurs chercheurs et chargée de conseiller le gouvernement
(Photo : Jacques Demarthon)

“Si on n’a pas une thèse d’économie, c’est quand même assez difficile de suivre” les recommandations faites par Bruxelles, plaisante Mme Bénassy-Quéré.

Pour elle, “mettre en avant le solde courant avec une norme (chiffrée), c’est plutôt plus intelligent que le 3%” du solde budgétaire, “parce que ça agrège tous les déficits, et on sait bien qu’un endettement privé peut devenir assez rapidement un endettement public”, relève-t-elle.

– ‘La modération salariale’ de l’Allemagne –

Et de donner l’exemple de l’Irlande, passée “du jour au lendemain” de finances publiques saines à une crise de la dette lorsque l’Etat a dû renflouer le secteur bancaire après 2008. L’Espagne elle s’est trouvée en difficultés non en raison de dérives budgétaires, mais à cause d’une bulle immobilière.

Autre piste donnée par les deux économistes: suivre de près les écarts des coûts salariaux unitaires.

Modération salariale et excédent courant bien supérieur à 6% du PIB, ce qui est aujourd’hui le seuil de tolérance européen: l’Allemagne sort bien mauvaise élève de l’examen des deux économistes.

“La principale divergence, c’est l’Allemagne qui du fait de sa modération salariale a grosso modo sous-évalué ses coûts salariaux de 10 à 20% par rapport à la moyenne européenne, ce qui fait un déséquilibre colossal”, a assuré M. Ragot. Elle a “mangé” les parts de marché d’autres pays européens dans le reste du monde, au profit des exportateurs allemands, a-t-il ajouté. Tout en soulignant aussi que le pays avait dû modérer les salaires pour absorber tout seul le choc financier de la Réunification.

A plus long terme, les deux économistes assurent que la zone euro n’échappera pas à une réflexion sur une plus forte intégration, avec la mise en place d’un budget commun. Mais se montrent pessimistes sur les chances d’y parvenir face à un vote “anti-européen qui n’est pas le même partout”, a reconnu Mme Bénassy-Quéré.

“Par exemple, un système d’assurance chômage européen, avec une valeur de solidarité qui plaît bien en France, ce serait une union de transferts abominable en Allemagne”, a-t-elle indiqué.