Habib Essid valide, lors d’une apparition télé éclair, ce que l’on savait déjà du désastre économique et social du pays. Parviendra-t-il à faire taire les revendications syndicales? Wait and see.
Quarante-huit heures durant, on annonçait l’allocution du chef du gouvernement. Il est vrai que cet exercice de teasing a tenu le bon peuple en haleine. Les défis étaient multiples et les attentes du public nombreuses. On focalisait sur deux sujets essentiels. Allait-il, enfin, se montrer suffisamment franc du collier envers un président imposant et se défaire de cette étiquette de collaborateur docile? Et, principalement, a-t-il du cœur pour dominer la situation et inverser la vapeur?
Le moment venu, on a vu, le temps d’une blitz-apparition, un chef du gouvernement qui s’adressait à l’opinion sur le mode “Tout va très bien Madame la marquise…“. Imperturbable, Habib Essid énumère mauvaise nouvelle sur mauvaise nouvelle et puis, sans céder au catastrophisme, affirmer “voilà je suis à la barre et advienne que pourra“.
Fataliste le chef du gouvernement? Pas si sûr, puisqu’à aucun moment il ne s’est montré résigné. Dans le fond, on n’a pas vu un message dans le style “bouteille à la mer“. Un message stoïque, au bout du compte, peu alarmiste, avait-il un sens? Nous sommes tentés de croire que la clé réside dans l’absence de consigne de fin de discours que réside le sens du discours. Le chef du gouvernement a évité toute recommandation en conclusion de son allocution. Quel peut en être le motif?
Ni Churchill, ni De Lafontaine, ni Balladur, ni Patton
Nous allons tenter une comparaison entre le propos de Essid et quatre discours légendaires. Jean de Lafontaine, dans sa fable, faisait dire à un riche laboureur lequel sentait sa fin proche dans ses dernières volontés à l’adresse de ses enfants: “Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins“. Rien de tout cela chez Essid même si nous savons que les fonds manquent terriblement.
Winston Churchill, appelant à plus de grinta de la part des soldats anglais, ne leur a offert que “Des larmes, du sang et de la sueur“. Essid nous a évité toutes ces piques.
Edouard Balladur a demandé des sacrifices -et Dieu seul sait que les Tunisiens sont loin d’y consentir.
Et le plus direct et le plus insolent de tous a été le général Patton dans sa fameuse harangue à ses troupes la veille d’entrer dans Berlin en 1945 a été: “Enfants de salauds“. Avec beaucoup de discernement et certainement un sens démocratique aigu, Habib Essid a laissé les Tunisiens tirer les conclusions par eux-mêmes. C’est peut-être une façon de caresser le génie des Tunisiens dans le sens du poil.
Assiéger les ténors des revendications sociales
En réalité, le discours de Habib Essid s’est terminé sans conclusion, mais Houssine Dimassi lui a donné un épilogue de circonstance. L’ancien ministre des Finances, qui n’a pas tout à fait rendu son maroquin car il continue à intervenir dans le débat public avec un sens aigu des responsabilités, a annoncé que les augmentations salariales attendues ne feraient qu’aggraver le déficit budgétaire et faire repartir l’inflation. Il y a de quoi doucher tous les ténors du jusqu’au-boutisme syndical.
Par ailleurs, le discours de Essid doit être calé sur le débat initié par l’IACE quant à la corrélation des augmentations à la productivité et à la flexibilité du travail. Au bout du compte, le chef du gouvernement ne paraît pas aussi isolé qu’on peut le croire ni même candide que pourraient le croire certains. Il a agi avec beaucoup de doigté. Tout porte à croire qu’il a fissuré le front des syndicaux durs lesquels devront compter à présent avec le sentiment de réprobation sourde qui se nourrit chez l’opinion.
Bel exercice d’adresse politique et de bonnes pratiques démocratiques.