énéral de Clymène,un gestionnaire de fortune, à Neuilly-sur-Seine le 9 juillet 2010 (Photo : Francois Guillot) |
[20/03/2015 09:55:51] Paris (AFP) La confidentialité est leur religion, la discrétion leur mode de vie: gestionnaires de très grosses fortunes, les family offices préfèrent être à l’abri des regards pour gérer les affaires de familles au patronyme souvent célèbre.
Ils s’appellent Peugeot, Dassault, Wendel, Dentressangle Mulliez ou Bettencourt et disposent du nec plus ultra du family office: une structure dédiée à leur seule fortune.
L’une a été célèbre: Clymène, à une époque dirigée par Philippe de Maistre, qui y gérait une partie de la fortune des Bettencourt.
Mais pour la plupart, les family office gèrent les avoirs de plusieurs familles. Pour utiliser leur services, il faut au bas mot 15 millions d’euros. En-dessous, un gestionnaire de fortune classique est suffisant.
“C’est une profession discrète parce qu’elle est au coeur d’une problématique familiale, avec ses enjeux de succession, de transmission toujours douloureux et de rapport à l’argent”, explique Jean-Marie Paluel-Marmont qui défend les intérêts de la profession à la présidence de l’Association française des family offices (AFFO), alors que l’affaire Bettencourt a apporté une publicité dont le secteur se serait bien passé.
– Diversifier le patrimoine –
Ils doivent savoir naviguer de la gestion d’actifs à la fiscalité, ajoutant à leur savoir-faire technique une dose de psychologie, les family offices sont les ordonnateurs de la fortune d’une famille, souvent tirée d’une aventure entrepreneuriale réussie.
“Le succès d’une entreprise motive le besoin d’un family office pour diversifier un patrimoine”, explique Charles Bienaimé, à la tête des activités de family office du groupe Meeschaert, qui accueille une cinquantaine de familles et affirme en recruter quatre à six nouvelles par an.
Lorsque le succès est au rendez-vous, les investissements s’étendent rapidement aux start-ups, à l’immobilier ou encore à l’art et la philanthropie : autant de projets que le family office se doit de mettre en musique en parfaite adéquation avec les aspiration de la famille et de ses membres.
“Par exemple, si un des héritiers adore le sport, pourquoi ne pas essayer d’investir dans ce domaine pour qu’il puisse se réaliser ?”, illustre Josée Sulzer, fondatrice du Club F, qui regroupe une trentaine de family offices “prestigieux” et rattachés à une seule famille.
“Mais il faut aussi que cela ait un sens économique”, tempère-t-elle. “Chaque famille a son ADN, qui est le plus souvent issu de la première aventure et c’est en fonction de cet ADN que le family office va développer les activités, entreprendre des projets et garder la cohésion familiale”, poursuit celle qui exerce dans ce domaine depuis une vingtaine d’années.
– ‘Appellation non protégée’ –
L’essence du métier réside dans la capacité à “être le généraliste qui va avoir recours à des spécialistes” (avocats, notaires…), résume Frédéric Guérineau, directeur d’Intuitae, une institution chapeautant la fortune de 70 familles pour un total de trois milliards d’euros.
N’étant soumise à aucune réglementation, la profession à l'”appellation non protégée”, comme certains le soulignent, échappe bien souvent aux statistiques: ici un directeur financier parti à la retraite et sollicité par la famille pour gérer ses affaires, là un gestionnaire de fortune débauché pour se consacrer à plein temps à un seul client.
Sophie Breuil, directrice du conseil au sein de la banque privée Neuflize OBC dénombre une trentaine de multi family offices, parmi lesquels Intuitae, Amplegest ou encore MJ&Cie.
Ils gèrent la fortune de plusieurs familles.
Les +mono family offices+ en revanche ne dépendent que d’une seule et unique dynastie familiale.
– Un marché pour happy-few –
Dans les bureaux feutrés d’Intuitae, situés entre l’avenue Montaigne et celle des Champs Elysées, M. Guérineau parle d’un “petit marché” pour désigner son activité, une “niche plutôt en haut de la fourchette”.
Sous les ors des salons du Cercle de l’Union interalliée, le fondateur de l’AFFO, vice-président de Meeschaert Family Office, Bernard Camblain fait ses comptes : selon ses propres estimations, on peut compter en France plusieurs milliers de foyers dont le patrimoine se situe au-delà de 15-20 millions d’euros, un minimum pour s?offrir les services d?un family office.
Or ils ne seraient que quelques centaines à avoir fait appel à un spécialiste, avance M. Camblain, enthousiaste: “la marge de développement est très importante”, déclare-t-il.
“On a parfois assimilé le family office à la conciergerie ou à la gestion financière, c’en est une partie mais ce n’est pas la seule”, tient à souligner M. Camblain.
– Résoudre les désaccords –
Avec le temps, le family officer devient le garant de “la pérennité de l’entreprise à travers plusieurs générations”, soutient M. Paluel-Marmont, ancien président de la société familiale Compagnie Lebon.
“La question de la transmission est un moment critique pour l’entreprise elle-même”, fait remarquer Thierry Mabille de Poncheville, directeur général délégué de la société Etablissements Peugeot Frères, actionnaire du constructeur automobile Peugeot PSA Citroën, qui attribue à ce métier “une dimension humaine très importante”.
“J’avais eu des difficultés de passation entre la génération de mon père et moi-même”, raconte l’entrepreneur Luc Darbonne, qui a cédé à l’été 2014 à la cinquième génération les rênes de l’entreprise familiale Daregal, spécialisée dans les herbes aromatiques surgelées.
Pour éviter de répéter les mêmes erreurs, il a créé un mode d’emploi : des “réunions familiales deux fois par an”, un “protocole de famille” ou encore une lettre d’information mensuelle.
Résoudre les désaccords d’une fratrie pour l’avenir de la propriété familiale, assurer l’unité quand seul le cadet se voit faire carrière dans l’entreprise historique, convaincre un patron que l’aîné de ses enfants ne pourra pas lui succéder : les étapes qui régissent la vie d’une entreprise dont le destin a partie liée avec celui d’une famille ne se font pas sans heurts.
“Beaucoup de familles arrivent à cette table avec un problème à régler et le souci de préserver l’équité entre les différents membres de la famille”, explique-t-on chez Cyrus Conseil. Il faut chercher à “éviter que ne se greffent sur la gestion du patrimoine les problèmes de l’enfance”, insiste de son côté M. Bienaimé.
De cette équation découle la caractéristique principale du métier, sa discrétion.
“Souvent, l’entreprise elle-même est déjà connue quand elle a rencontré le succès”, souligne Mme Sulzer. “On parle de l’entreprise, de son développement, c’est beaucoup plus intéressant que de savoir comment on a organisé la cohésion familiale. On protège des individus qui par ailleurs, si le nom est un petit peu connu, sont déjà suffisamment exposés”, poursuit-elle.
Pour elle, cette nécessité se résume d’une formule simple : “nous n’avons rien à cacher mais nous n’avons pas besoin de parler”.