à Pékin (Photo : Takaki Yajima) |
[26/03/2015 06:56:51] Washington (AFP) Les Etats-Unis n’ont pas vu le coup venir: le succès de la banque chinoise de développement a pris de court Washington qui avait bataillé contre cette nouvelle institution et doit maintenant changer son fusil d’épaule.
Allemagne, France, Royaume-Uni… les Etats-Unis ont assisté, impuissants et médusés, au ralliement de leurs alliés européens à la structure mise sur pied par Pékin en contrepoint à la Banque mondiale ou à la Banque asiatique de développement, sur lesquelles Washington a la haute main.
La liste ne s’arrête pas là: d’autres partenaires de Washington comme l’Australie ou la Corée du Sud songent à rejoindre la future banque chinoise d’investissement dans les infrastructures (AIIB), qui compte déjà une trentaine d’Etats-membres et a reçu la bénédiction de la patronne du FMI Christine Lagarde.
“Les Etats-Unis ont été totalement pris au dépourvus par le flot de pays qui se bousculent pour rejoindre l’AIIB”, assure à l’AFP Eswar Prasad, ancien directeur du département Chine au FMI, pointant “un déclin” de l’influence américaine sur l?agenda économique mondial.
En coulisses, l’administration Obama avait pourtant mené un intense lobbying contre le projet de son rival chinois, dévoilé en octobre et accusé par avance de vouloir saper les standards internationaux sur le développement.
“Va-t-elle protéger les droits des travailleurs ? L’environnement ? Va-t-elle faire face à la corruption ?”, lançait encore le secrétaire au Trésor américain Jacob Lew la semaine dernière.
Cette stratégie d’opposition frontale, qui s’est nourrie du climat de méfiance entre la première puissance économique mondiale et son dauphin chinois, s’est toutefois révélée inefficace.
“Les Etats-Unis se sont isolés relativement tôt en affichant leurs critiques et ont ainsi perdu l’opportunité d’avoir une discussion ouverte avec les pays tentés par l’AIIB”, explique à l’AFP Scott Morris, un ancien responsable du Trésor américain.
Cet échec n’est pas sans conséquences. Fait rarissime depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les Etats-Unis devront composer à l’avenir avec une institution multilatérale sur laquelle ils n’auront pas d’influence directe et dont ils ne voulaient pas.
– Infléchissement –
Habitués à façonner l’architecture financière mondiale, les Etats-Unis pourraient avoir pêché par excès de confiance et sous-estimé le pouvoir d’attraction exercé par la Chine et ses réserves colossales de cash.
“Les Etats-Unis ont toujours connu la position de leader et ne se sont psychologiquement pas adaptés à l’émergence d’autres pays comme la Chine. Leur mentalité est un peu la traîne de la réalité”, affirme à l’AFP Hongying Wang, experte des relations sino-américaines au Centre for International Governance au Canada.
Selon les experts, Washington a également sous-estimé la lassitude de certains pays, dont ses alliés, face à son peu d’appétence pour le multilatéralisme économique. Les Etats-Unis bloquent ainsi le rééquilibrage du FMI au profit des pays émergents et sont parfois accusés de négliger la Banque mondiale, deux institutions dont ils sont pourtant les principaux actionnaires.
“Les pays (ayant rejoint l’AIIB, ndlr) nourrissent plus d’ambition sur le multilatéralisme et ont pris ombrage du manque d’élan des Etats-Unis”, affirme Scott Morris.
Constatant leur isolement, les Etats-Unis ont commencé à infléchir leur position en ouvrant la porte à une coopération avec la banque chinoise, qui doit formellement voir le jour d’ici à la fin de l’année.
“Les Etats-Unis salueraient de nouvelles institutions multilatérales qui renforcent l’architecture financière internationale”, a ainsi déclaré lundi le sous-secrétaire au Trésor Nathan Sheets.
Dans un récent message, le Trésor américain a précisé qu’il discutera “directement” avec la Chine et fera des “suggestions concrètes” pour que l’AIIB applique des règles environnementales ou sociales rigoureuses dans ses futurs projets.
Les Etats-Unis peuvent difficilement aller plus loin. Une adhésion à l’AIIB ne manquerait pas de susciter une levée de boucliers au Congrès et pourrait être vue comme un aveu de faiblesse de Washington. “Ce serait politiquement très compliqué”, convient M. Morris.
Cet épisode pourrait en tout cas laisser des traces. En ralliant à sa cause de nombreux pays, Pékin a fait preuve de sa “maturité” et d’un “leadership constructif”, selon M. Prasad. “Ce sera désormais plus dur pour les Etats-Unis de contrer l’influence croissante de la Chine”, prédit-il.