Le marché de l’emploi est dans un état de grippage prolongé. Les diplômés du supérieur sont atteints en majorité. Ceci appelle à matcher les efforts du public et du privé pour réformer l’enseignement, assouplir le cadre réglementaire et faire performer l’entreprise.
A situation particulière, il faut des remèdes dédiés. Quels espoirs, au concret, pour détendre les tensions sur ce marché, à court terme? Et comment ajuster offre et demande dans le moyen et long termes?
Le CJD (Centre des jeunes dirigeants d’entreprises) se livre à son tour à un effort de réflexion autour de la situation stressante du marché de l’emploi dans notre pays. Ce cogito collectif maintient la pression, sur la scène nationale, pour appeler à l’effort de tous afin de faire reculer le chômage, rappellera Khaled Zribi. Past président du Centre, Abdelaziz Dargouth, ajoutera avec pertinence que le chômage avait dégagé Ben Ali, et le fait qu’il se perpétue, il pourrait dégager la démocratie. Gare! Zied Lahdhari, ministre de l’Emploi, aura assisté à ce débat reconnaissant qu’il faut débureaucratiser l’administration pour lui permettre d’intervenir sur le champ avec efficacité.
Seule l’entreprise compétitive crée de l’emploi
A cette occasion a été préparé, par Sigma Conseil, pour enserrer la situation du marché de l’emploi par les chiffres. Elle dévoile toute l’étendue du désastre de la situation du chômage dans notre pays.
Il se trouve que le modèle tunisien soit touché au cœur. Nos choix fondamentaux ont été impactés. L’enseignement a mis à mal l’ascenseur social. La parité homme-femme est désaxée et les disparités régionales sont criardes.
Le chômage de longue durée frappe les diplômés à hauteur de 31% contre 5% pour les analphabètes. S’il faut ajouter à ce triste record la défection de 120.000 jeunes annuellement, le système se trouve en total déphasage, car il fait un tête-à-queue regrettable. Il ne garantit plus l’émancipation mais prépare à l’exclusion.
Si le taux de chômage moyen national est de 15,3%, ce qui est élevé en soi, il bondit à 31,4% pour les diplômés du supérieur. Et, il frappe les femmes diplômées à hauteur de 41%.
Sévissant dans les régions déshéritées plus que dans celles du littoral, il atteint des pics insupportables. Hassen Zargouni, a présenté l’hypothèse d’école qu’une jeune fille issue du Sers, diplômée de lettres, s’exposait à attendre dix ans avant de se faire embaucher. Autant dire qu’elle a pris perpét au chômage.
Réformer l’université, à quel prix et avec quels moyens
La dure réalité est que le chômage en Tunisie se pose au niveau de l’insertion. Or, pour lever cette hypothèque, il convient de satisfaire à deux objectifs. Le premier consiste, sans surprise, à réformer le système éducatif dans son ensemble; le deuxième serait d’aider l’entreprise à être plus compétitive car seule la productivité motive l’investissement lequel crée de l’emploi. Et en la matière, il faut convenir que des mesures immédiates peuvent être prises à l’effet de détendre un peu les contraintes qui pèsent sur la situation matérielle difficile des universités.
Des mécènes, entendez des entreprises tentées par les diplômes co-construits, apporteraient leur obole, sans compter, mais seulement le cadre légal s’y oppose. Slim Khalbous, directeur de l’IHEC, a trouvé pour son école une issue. Les fonds dédiés financeraient les acquisitions de l’université sous forme de cadeaux, évitant les transferts d’argent interdits par la loi. Et il rajoute que des retouches réglementaires minimes pourraient débloquer la situation et permettre aux universités de trouver rapidement de quoi financer les frais de certification, qui se règlent entre 30.000 et 40.000 dollars US. Ces certifications valoriseraient leurs diplômes à l’international.
En échos, Martin Henkelmann, de l’agence allemande de développement (ZIG), pousse au transfert des bonnes pratiques allemandes recommandant le recours aux formations alternées et l’inflexion des programmes vers l’enseignement technique faisant une meilleure place aux filières professionnelles.
Il est évident, comme le fera remarquer Abdelaziz Hallab de l’UTICA, que l’autonomie doit être reconnue aux entreprises de sorte que la réforme soit décidée par les praticiens eux-mêmes. Mais pour cela il faut que l’administration centrale accepte de délocaliser ses prérogatives, quitte à contrôler a posteriori, principe d’ailleurs agréé par le ministre Zied Ladhari, à l’effet d’aller vers plus d’efficacité.
Mais dans l’immédiat, que faire pour détendre e marché et soulager les demandeurs d’emploi? Il y a les niches d’emploi tels que l’accompagnement scolaire ou les métiers du développement durable.
La société civile au chevet de l’emploi
Reso, une ONG de bonne volonté, comme le laisse entendre son promoteur, Sami Adouani, s’interpose entre l’entreprise et le demandeur d’emploi pour apporter une contribution en matière de préparation des candidats à l’emploi aux soft skills, exigence infranchissable pour l’embauche.
Les chefs d’entreprise reconnaissent que les étudiants tunisiens, notamment ceux diplômés des grandes écoles, possèdent un bon niveau de formation technique. Toutefois, ils déplorent leur déficit en communication, leur résistance au travail en groupe, leur carence en langues étrangères et notamment en anglais, enfin tous les attributs d’employabilité. Et ils s’emploient à rendre les candidats plus aguerris en apprenant à se conformer aux exigences des employeurs.
L’urgence du moment
L’avantage dans les séminaires organisés avec les universités est que le dialogue s’oriente toujours vers une démarche prospective. Dans cette optique, le lissage des tensions du marché de l’emploi à moyen et long termes se dénouent, étant donné qu’on est dans une construction intellectuelle. Mais pour le moment la situation sur le terrain se présente autrement. Or, à se reporter au dialogue entre les partenaires sociaux tel qu’il a eu lieu lors des “Journées de l’entreprise“ (de l’IACE), on est en droit de se demander si on n’est pas dans une guerre de position.
L’UTICA qui plaide de manière ferme en faveur de la flexi-sécurité. Et, en face, l’UGTT qui s’oppose à toute retouche du Code du travail. Et sans vouloir noircir le tableau, les chiffres de la macro-économie qui sont inextensibles à court terme. Une croissance potentielle à 5,5% versus une croissance effective d’à peine 3,5% et surtout une productivité basse qui culmine à 3,8%, ceci pour dire que l’on dispose d’une marge de manœuvre très réduite. Et les négociations sociales ne se passeront pas, en toute vraisemblance, avec la facilité qui a régné lors du séminaire du CJD.