Au Mexique, les maigres retraites poussent les seniors aux petits boulots

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é de Mexico (Photo : RONALDO SCHEMIDT)

[03/04/2015 14:56:18] Mexico (AFP) Prudencio Diaz est manchot mais emballe aussi vite qu’il le peut dans des sacs en plastique les achats des clients d’un supermarché de Mexico. Il n’est pas payé mais grâce aux pourboires, cet homme de 66 ans complète sa maigre retraite.

“Ma pension (environ 70 euros mensuels) n’est pas suffisante et je n’ai aucune difficulté à empaqueter”, assure-t-il. Il gagne 10 à 15 euros par jour au supermarché et compte parmi les 22.000 personnes âgées volontaires pour ce travail au Mexique.

Car si le Mexique est la seconde économie latino-américaine après le Brésil, avec un revenu moyen par tête de plus de 10.000 dollars annuels (environ 9.300 euros), seul un quart des 11 millions de seniors y touchent une retraite.

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Vieillir au Mexique (Photo : Leung/Saekhi, kt/dmk/abm)

La moitié des Mexicains sont employés dans le secteur informel et nombre d’entre eux arrivent à l’âge de la retraite sans avoir réussi à cotiser le temps requis pour toucher une pension complète. Beaucoup de femmes ont consacré leur vie aux tâches ménagères.

Prudencio Diaz, lui, a passé son enfance à garder du bétail dans sa ville natale de Zacapoaxtla, dans la région de Puebla (centre). Puis à 15 ans, il est monté à Mexico, la capitale peuplée de 20 millions d’habitants.

Il y a multiplié les emplois informels pour pouvoir assouvir sa véritable passion, le sport, devenant successivement transporteur de bombonnes d’eau potable, routier, boxeur improvisé rémunéré quelques dollars pour un combat, garçon de café, barman…

Son bras, il l’a perdu à 25 ans dans un accident quand il travaillait comme mécanicien. Ce qui ne l’a pas empêché de participer au fil du temps à plus de 35 marathons au Mexique ou à l’extérieur du pays.

Mais au bout du compte, à 66 ans, “je n’ai pas suffisamment pour vivre”, dit l’infatigable Prudencio. Outre son travail comme “empaqueteur volontaire”, il vend des “tamales”, spécialité mexicaine à base de maïs, à la sortie du supermarché. Et trouve encore le temps d’entraîner des jeunes au marathon ou de faire parfois de la figuration dans des publicités télévisées.

– Rupture entre générations –

Le système des retraites est “un peu désarticulé” au Mexique, explique Barbara Bernes, de l’Institut national des personnes âgées (Inapam), qui impulse le programme des empaqueteurs volontaires des supermarchés et tente aussi d’offrir des emplois formels à des seniors.

Mais avec une scolarité souvent limitée à l’école primaire, “beaucoup de personnes du troisième âge n’ont pas les compétences requises pour les demandes actuelles du marché du travail”, explique Mayra Membrillo, une autre responsable de l’Inapam. Selon elle, seules 10% des personnes âgées sont familiarisées avec les nouvelles technologies de l’information, souligne-t-elle.

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é à Mexico le 17 mars 2015 (Photo : RONALDO SCHEMIDT)

Pour Adelina Gonzalez, de l’Institut mexicain des droits de l’Homme et de la démocratie, le marché du travail “a imposé la concurrence et généré des exclus et une rupture entre les générations”. Une situation qui mène selon elle à des actes de violence et à des situations d’isolement des personnes âgées au sein de leurs propres familles.

Avec d’élégantes boucles d’oreille et des cheveux gris impeccablement tirés en arrière, Maricela, 62 ans, attend devant un supermarché pour prendre son tour d’empaquetage.

Cette mère célibataire qui a longtemps travaillé comme vendeuse déplore de n’avoir pas pu obtenir un emploi de standardiste. “On a reconnu que je m’exprimais avec aisance et amabilité, mais je n’ai pas été prise à cause de mon âge. C’est de la discrimination”, se plaint-elle.

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é à Mexico le 17 mars 2015 (Photo : RONALDO SCHEMIDT)

Cette image négative envers les personnes âgées contraste avec la place privilégiée que tenaient les anciens dans le Mexique préhispanique.

“Ils étaient chargés de perpétrer la tradition et la sagesse du peuple. Le fait qu’ils s’approchent de la mort leur conférait un certain caractère sacré”, explique Patrick Johansson, chercheur à l’Université nationale autonome du Mexique (Unam).

Après cinq heures passées à empaqueter les achats des autres, Prudencio fait le compte des pièces qu’il a reçues. “Aux jeunes, je leur dis de faire les choses de leur mieux”, lance-t-il. “Parce que, comme on dit: tu ressembles à ce que j’étais et tu ressembleras à ce que je suis devenu…”