L’Ukraine “portée à bout de bras” financièrement, et pour longtemps

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ésident ukrainien, Petro Porochenko, le 12 février 2015 à Bruxelles (Photo : Emmanuel Dunand)

[06/04/2015 15:43:28] Paris (AFP) Une crise monétaire, industrielle, budgétaire, bancaire, énergétique: après un an de conflit armé, l’économie ukrainienne est exsangue et sous perfusion financière internationale certainement pour longtemps.

Les plans d’assistance se succèdent, orchestrés en grande partie par le Fonds monétaire international.

En avril 2014, ce dernier annonçait une première assistance de quelque 17 milliards de dollars en tranches. Un an plus tard, alors qu’environ 5 milliards seulement ont été versés, le FMI a mis sur les rails une nouvelle aide se substituant à la précédente, de 17,5 milliards de dollars sur quatre ans, qui doit s’intégrer à un plan de 40 milliards sur quatre ans mettant à contribution prêteurs privés et publics.

“Il y a une crise bancaire, une crise monétaire, une crise économique se manifestant par une forte contraction du Produit intérieur brut l’an dernier et probablement cette année, une crise de l’énergie”, énumère Francis Malige, directeur pour l’Europe de l’Est et le Caucase à la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement).

L’industrie lourde, très présente dans le pays, est pénalisée par la baisse des prix de l’acier, et amputée d’un cinquième environ de sa production en raison du conflit dans l’est séparatiste pro-russe.

La chute de la devise ukrainienne, la hryvnia, dont la valeur en dollar a été divisée par trois en un peu plus d’un an, laisse le pays exsangue: “Comme dans beaucoup de pays émergents, (elle) a une répercussion directe sur les ménages, les entreprises et les finances publiques, puisque la dette privée et publique est libellée pour une bonne part en devises étrangères”, explique Julien Marcilly, économiste en chef de l’assureur-crédit Coface.

La dette publique ukrainienne, en pourcentage de la richesse nationale, va bondir à 94% cette année selon le FMI, contre 40% en 2013. L’Ukraine n’emprunte plus sur les marchés qu’à de très courtes échéances et à des taux exorbitants.

Kiev négocie pour alléger ce fardeau, et s’est adjoint les services de la banque Lazard face à des créanciers privés, au premier rand desquels le fonds américain Franklin Templeton, épaulé par le fonds Blackstone, selon la presse. Ses chances paraissent minces: pour l’agence de notation Moody’s, le risque de défaut de l’Ukraine avoisine 100%.

L’économiste Jacques Sapir confirme qu’il faudra “porter l’Ukraine à bout de bras” pour apurer la dette, combler les déficits et régler la facture de gaz russe, objet de dures négociations Ukraine-Russie avec une forte implication de l’UE.

Pour faire face, le pays multiplie les sources: le FMI, mais aussi la Banque mondiale, l’Union européenne, sans compter les aides bilatérales. Le célèbre financier George Soros lui-même se dit prêt à injecter 1 milliard de dollars dans le pays.

– Réformes –

Mais cette manne ne tombera pas du ciel sans conditions: le FMI exige réformes et mesures d’économie, tandis que tous les créanciers internationaux réclament une rupture franche avec la corruption généralisée dans le pays.

Le gouvernement ukrainien tente de donner des gages, limogeant un gouverneur milliardaire ou arrêtant de hauts responsables publics devant les caméras.

“Il y a une part de mise en scène”, prévient Tatiana Jean, chercheuse à l’Institut français des relations internationales. Pour elle, une preuve solide de la volonté de rupture du gouvernement serait de casser le monopole du groupe gazier public Naftogaz.

Pour M. Malige de la BERD, premier investisseur international dans le pays, il faut aussi assainir le système financier: “Il y a beaucoup trop de banques en Ukraine, qui fonctionnent en système fermé. Elles sont aux mains de quelques personnalités puissantes, et elles ont tendance à financer les entreprises de ces mêmes personnalités”.

Mais il estime que l’Ukraine a des atouts économiques: des terres agricoles très fertiles, une main d’oeuvre “ultra compétitive”, et “le gouvernement le plus réformateur depuis l’indépendance”.

Dans un entretien récent avec quelques journalistes à Paris, le ministre de l’Economie Aivaras Abromavicius a surjoué la carte du libéralisme économique, promettant des privatisations et vantant les réductions d’effectif dans la fonction publique.

“Je suis d’accord avec (le président américain) Ronald Reagan qui disait que la plus terrifiante phrase de la langue anglaise était +Je viens de la part du gouvernement et je veux vous aider+”, a plaisanté cet ancien banquier.