Le Combattant suprême, le zaïm Bourguiba, fondateur de l’Etat moderne et de la première République tunisienne, doit sourire, aujourd’hui, dans sa tombe. Pour cause? Les Tunisiennes et Tunisiens vont avoir enfin l’heureuse opportunité de commémorer dans la sérénité son décès, et ce 15 ans après sa disparition au terme de son internement, durant 13 lustres, sous le joug du dictateur Ben Ali.
C’est son disciple et compagnon de route, Béji Caïd Essebsi, actuel président de la République qui a décidé de célébrer en grande pompe cet anniversaire et de réhabiliter, ainsi, l’honneur et le prestige de ce grand leader nationaliste.
Zoom sur la réhabilitation historique d’un grand homme trahi par les siens et réhabilité par les femmes qu’il avait émancipées et par les progressistes qu’il avait éduqués..
Parcours d’un grand leader
Il faut dire que les Tunisiens, dans leur ensemble (même si cette généralisation peut déplaire à certaines créatures malades), lui sont reconnaissants pour ses audacieuses réformes. Ces mêmes réformes qui ont permis, par l’effet heureux de sa fameuse «la politique des étapes», de réaliser l’indépendance totale du pays, de nationaliser les terres agricoles et d’émanciper la femme tunisienne à travers la promulgation du Code du statut personnel.
Bourguiba avait, également, à son actif la généralisation de l’éducation des jeunes, la planification des naissances, l’amélioration de la couverture sanitaire et l’enclenchement d’une dynamique industrielle dans toutes les régions économiques du pays…
Seule zone d’ombre, le Combattant suprême, en dépit de ces réformes avant-gardistes, n’était pas populaire pour tous les Tunisiens. Ceux de l’ouest et du sud du pays, tout autant que les islamistes et les gauchistes et autres syndicalistes, retiendront surtout de lui qu’il a été «un autoritaire», «un mégalomane» et un «régionaliste».
A l’exception des premières années de son mandat où toute la Tunisie avait bénéficié, dans l’élan de l’indépendance, d’une amorce de développement réel, Bourguiba n’a fait que favoriser le développement du littoral au détriment de l’arrière-pays.
Concrètement, il a orienté les investissements les plus lourds (universités, centres hospitalo-universitaires, zones industrielles, centrales électriques, unités hôtelières…) vers le littoral, et marginalisé, avec mépris, l’ouest et le sud du pays en entretenant leurs communautés par l’assistance sociale.
Les crises qu’a connues Bourguiba…
Bourguiba a connu quatre importantes crises à l’issue de chacune il aurait dû abandonner le pouvoir. Il s’agit de l’échec du collectivisme (durant les années 60), les mouvements sociaux avec comme pointe la grève générale en janvier 1978 et ses conséquences dramatiques, l’agression armée perpétrée en 1980 par des terroristes à la solde de Kadhafi contre la ville de Gafsa, et la révolte du pain en 1984.
Résultat: il a laissé un pays au bord de la banqueroute, ce qui a justifié le fameux Plan d’ajustement structurel (PAS) de 1986 et le putsch médical de Ben Ali et son corollaire, son emprisonnement, jusqu’au reste de ses jours, dans une petite villa à Monastir.
Bourguiba réhabilité par le soulèvement du 14 janvier 2011
Au-delà de ce parcours du leader, la véritable valeur des réformes de Bourguiba s’est illustrée de manière éloquente après le soulèvement du 14 janvier 2011.
C’est justement grâce aux femmes émancipées que la République a pu résister au plus grand projet de déstabilisation et de déstructuration du pays. C’est grâce à ces belles héritières d’Elyssa et d’El Kahena qu’Ennahdha et dérivés ont été amenés à faire marche-arrière et à accepter les compromis.
C’est grâce à ces «Hraier Tounès» lesquelles, par leur vote massif (1,2 million de voix de bajboujettes), ont fait accéder au pouvoir le disciple de Bourguiba, en l’occurrence Béji Caïd Essebsi et, partant, la renaissance du Bourguibisme 23 ans après sa disparition des arènes du pouvoir.
Mention spéciale également pour les progressistes que le militant feu Noureddine Ben Kheder, symbole de la lutte glorieuse de la gauche tunisienne, aimait qualifier d’«enfants illégitimes de Bourguiba». Ces progressistes, toutes couleurs confondues, ont eu le courage à leur tour d’avoir combattu le projet de «dictature islamiste» et d’avoir, au nom des valeurs républicaines de Bourguiba, organisé la résistance, avec comme point d’orgue le sit-in historique et déterminant du Bardo (mois d’août 2013).
De nos jours, il faut croire aux institutions
Aujourd’hui, les républicains récoltent les fruits: une Constitution progressiste et la tenue, avec succès, d’élections générales qui ont conféré aux institutions de l’Etat stabilité et permanence.
Abstraction faite de ses exploits et abus, Bourguiba demeurera une exception et un référentiel hors pair pour tous les Tunisiens. Néanmoins, les jeunes générations ont tout intérêt à ne plus croire aux leaders charismatiques tels que le Combattant suprême (il n’en existera plus), mais doivent plutôt croire aux institutions, aux lois applicables à tous, à l’égalité des chances et aux normes à établir à cette fin.
A bon entendeur..