à Chisinau le 27 mars 2015 (Photo : DANIEL MIHAILESCU) |
[09/04/2015 07:05:13] Chisinau (AFP) Procureurs anticorruption, parlementaires et même détectives financiers américains cherchent depuis des semaines la trace d’1 milliard de dollars qui se sont évaporés en Moldavie, un scandale bancaire à même de déstabiliser ce pays, le plus pauvre d’Europe.
“Disparition mystérieuse” ou “vol du siècle”? L’affaire a éclaté au grand jour lorsque la Banque centrale de Moldavie (BNM) a découvert que trois établissements, représentant environ un tiers des actifs bancaires du pays, avaient accordé des crédits pour un montant total de 1 milliard, soit 15% du Produit intérieur brut (PIB).
La transaction a été bouclée en l’espace de quelques jours, et juste avant les élections législatives de fin novembre, remportées de peu par les partis pro-européens face à l’opposition pro-russe.
Les destinataires de ces crédits ne sont pas identifiés, et il semble que l’argent se soit purement et simplement envolé.
“Je ne peux pas expliquer comment on peut voler une somme aussi importante dans un pays aussi petit!”, a lancé récemment le représentant de l’Union européenne (UE) en Moldavie, Pirkka Tapiola.
Les députés se sont saisis de l’affaire. Selon un rapport d’une commission parlementaire discuté à huis-clos, mais qui a filtré dans la presse, une partie de l’argent aurait été transférée dans quatre banques russes.
Le leader de l’opposition socialiste, Igor Dodon, assure quant à lui que ces fonds auraient fini dans les comptes de plusieurs compagnies offshore, “où l’on a perdu leur trace”. “Des crédits ont été octroyés tout en sachant qu’ils ne seront jamais remboursés”, affirme-t-il à l’AFP.
Le vice-Premier ministre, le Français Stéphane Bridé, ancien expert financier, parle quant à lui prudemment de “transactions suspectes” massives, portant sur 1 milliard de dollars.
Pour éviter leur faillite, qui aurait provoqué un vent de panique dans l’ensemble du système bancaire, la Banque centrale a placé sous sa gestion directe les trois établissements, la Banque d’économies (BEM), l’Unibank et la Banque sociale.
– ‘Ordres venus d’en haut’ –
Elles ont reçu parallèlement un crédit d’urgence de 9,4 milliards de lei (700 millions de dollars), qui devait être remboursé le 27 mars. L’échéance est passée, mais rien n’est pour le moment revenu dans les caisses de la BNM.
“Je suis à 100% convaincu que la somme en question ne sera pas remboursée intégralement et que la différence sera transformée en dette publique”, déclare à l’AFP le président de la Ligue des banquiers, Dumitru Ursu. La dette moldave s’élève actuellement à 1,7 milliard de dollars.
Il accuse de négligence la Banque centrale et le gendarme des marchés financiers (CNPF) car “de telles transactions n’auraient pas pu échapper à leur surveillance”, ni d’ailleurs à celle du parquet anti-corruption (CNA).
Un vice-gouverneur de la Banque centrale et le président de la CNPF ont été limogés pour l’exemple. Mais nombre d’analystes expliquent la passivité de ces institutions par des “ordres venus d’en haut”, de la part d’hommes politiques influents qui auraient empoché une partie de l’argent.
és à une grande misère, vendent leurs biens dans les rues de Chisinau le 27 mars 2015 (Photo : DANIEL MIHAILESCU) |
Le Parquet général a ouvert une enquête. Jusqu’ici deux personnes, dont l’identité est gardée secrète, ont été placées en détention provisoire et les biens de plusieurs autres mis sous séquestre.
Dans un document rendu public début mars, les “partenaires de développement de la Moldavie”, incluant la Banque mondiale, l’Union européenne et les Etats-Unis, ont exhorté le gouvernement à “rendre public le montant des pertes subies par l’Etat” suite à cette affaire.
Devant le tollé général, le gouvernement a fait appel aux experts de la compagnie d’audit américaine Kroll pour démêler l’affaire.
“Cette méga-transaction a un impact néfaste majeur sur l’économie, provoquant une forte dévaluation du leu moldave (la monnaie locale)”, indique Alexandru Fala, analyste du groupe de réflexion Expert Grup.
Le leu avait perdu 42% de sa valeur entre le 1er novembre et le 18 février, avant de regagner un peu de terrain ces dernières semaines.
“Cette ardoise risque de provoquer la faillite du budget de l’Etat”, estime M. Dodon. Pour lui, “étant donné le niveau de corruption au sein du système judiciaire et le statut des personnes impliquées, penser que l’argent sera récupéré semble relever de la naïveté”.