Parce que, comme l’a rappelé Habib Essid, lors du Tunis Economic Forum (IACE, 12 mars 2015), les études ont «démontré l’impossibilité de continuer avec les orientations économiques passées qui sont à l’origine du déséquilibre régional et de l’incapacité grandissante à satisfaire les différentes demandes», il est nécessaire, clame le chef du gouvernement, de «préparer les fondements d’une économie alternative». Donc, d’introduire des réformes.
Réforme. Ce mot est, avec celui de changement, l’un des plus usités depuis plus de deux décennies en Tunisie. Au point d’en être galvaudé. D’autant, ainsi que cela a été souligné par plusieurs intervenants lors du Tunis Economic Forum –qui a traité de «la mise en place des réformes: urgences et méthodes»-, que toutes les réformes jusqu’ici entreprises, ou presque, ont lamentablement échoué. Ou, du moins, n’ont pas permis d’atteindre les objectifs fixés. Et cela tant avant qu’après le 14 janvier 2011.
A quoi ces échecs sont-ils imputables?
Diverses explications sont avancées qui, fort probablement, se complètent plus qu’elles ne s’excluent. Walid Belhadj Amor pointe du doigt «l’absence de culture de la réforme en Tunisie». Selon ce président du Centre tunisien de gouvernance des entreprises (CTGE), relevant de l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), «dans certains pays, le mot réforme n’existe pas puisqu’on n’attend pas que des textes de lois deviennent totalement obsolètes et inefficaces pour les changer».
Pour Mustapha Kamel Nabli –qui estime qu’il est «important de comprendre comment on faisait des réformes depuis l’indépendance»-, l’échec des réformes jusqu’ici entreprises a au moins trois causes.
La première est la prédominance de l’aspect technico-administratif au détriment du politique. «L’administration ayant toujours été au centre du processus, la dimension politique a été marginalisée et pas traitée, du moins pas ouvertement», explique l’ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
La deuxième cause réside dans le fait que les réformes ont jusqu’ici «été top down».
Le troisième facteur d’échec est «le gradualisme des réformes. On ne fait jamais de choix clair de changement. On fait des choix à la marge», constate Mustapha Kamel Nabli. Ce gradualisme est supposé «permettre d’éviter les résistances» mais a pour seul résultat que «les réformes ne sont jamais profondes ni abouties».
D’ailleurs, la seule fois dans l’histoire de la Tunisie où il y a eu tentative de changement radical remonte aux années soixante lorsque, rappelle l’ex-gouverneur de la BCT, le pays a mis le cap sur le socialisme en matière économique.
Mais aujourd’hui ce gradualisme «n’est plus adapté» aux conditions de la Tunisie, estime cet économiste. Pour trois raisons.
La première est, souligne M. Nabli, que «les défis sont aujourd’hui plus complexes». La seconde tient au fait que «l’administration sur laquelle nous avons toujours compté n’est plus ce qu’elle était. C’est-à-dire qu’elle n’a pas les compétences et les ressources nécessaires et la surface politique pour faire ce qu’elle a fait depuis 50 ans». La troisième raison des échecs est qu’«il y a dans le pays une sclérose généralisée des institutions. Les institutions sont malades et les traitements graduels ne sont plus adaptés».