à Forest-sur-Marque, dans le nord de la France (Photo : DENIS CHARLET) |
[10/04/2015 10:57:01] Forest-sur-Marque (France) (AFP) Il est une usine de l’agglomération lilloise où le piaillement des oiseaux se fait mieux entendre que le bruit des machines: à Forest-sur-Marque, Emmanuel Druon applique à son entreprise, le spécialiste de l’enveloppe de gestion Pocheco, un savant mélange d’écologie et d’économie.
“Si je peux vous en parler 20 ans après, c’est qu’économiquement le système est viable”, lance Emmanuel Druon. Manches de pullover retroussées, pas de cravate, pas de costume pour l’entrepreneur qui fête ses 50 ans en 2015.
“Le marché de l’enveloppe n’est pas un marché en développement ou en croissance, et pourtant nous sommes encore là, après avoir pris la mesure de la gravité de la situation et inventé une nouvelle méthode qu’on a appelé l’écolonomie”, explique-t-il.
Ce khâgneux né à Paris, passé par la Sorbonne, s’est retrouvé dans le monde de l’entreprise directement dans le grand bain du marketing des grandes multinationales.
Il est nommé président de Pocheco dès 1997, et devient l’unique actionnaire en 2008 après avoir racheté l’entreprise, en faillite.
“Quand tout va mal, une solution est de repartir d’une page blanche”. Pratique, pour un spécialiste du papier.
Emmanuel Druon tire son inspiration de ses observations: son fournisseur de papier, finlandais, s’emploie à replanter quatre arbres dès qu’il en coupe un. Pourquoi ne pas garder le même esprit tout au long du processus du fabrication?
L’entrepreneur reprend les ingrédients de ses encres et en retire tout produit toxique, tout solvant, pour une recette à base d’eau… de pluie, récupérée bien sûr.
à Forest-sur-Marque, dans le Nord (Photo : DENIS CHARLET) |
Ce changement a lui-même un impact sur ses équipes: plus besoin de masques, de gants. L’éthique de fabrication s’étend à l’organisation du travail: parmi les 115 “collègues”, les salaires s’étalent de 1 à 4, la hiérarchie a sauté.
Il applique systématiquement la même règle à tous ses investissements: baisse de la pénibilité au travail, moindre impact sur l’environnement, amélioration de la productivité. “Soit les trois critères sont tenus, soit on retravaille l’investissement”, assène Emmanuel Druon.
– Un entrepreneur “citoyen” –
Il remonte encore le fil de son process. La nouvelle encre élimine de facto la présence de déchets toxiques, qu’il n’a plus besoin de recycler, il reste simplement à nettoyer une eau souillée. Sa station d’épuration naturelle? La bambouseraie qui accueille le visiteur à l’entrée. Et quand le bambou n’est plus efficace, il est coupé, découpé, et passé à la chaudière à bois pour chauffer l’usine.
Rien ne se perd, donc. Emmanuel Druon est devenu un spécialiste des différentes techniques qui lui permettent non seulement d’affirmer ses valeurs écologiques, mais aussi de belles économies.
à Forest-sur-Marque, dans le Nord (Photo : DENIS CHARLET) |
Sur le toit, où il lutte un peu contre le vertige, Emmanuel Druon foule du pied les sedums qui composent la toiture végétale: ça les casse et permet aux graines de se disséminer. En cette belle journée de printemps, les panneaux photovoltaïques, 100% recyclables venus d’Allemagne, luisent au soleil.
Cette toiture a coûté 2 millions d’euros, contre une proposition de base de 800.000 euros pour une simple isolation. L’entrepreneur estime qu’il aurait mis 20 ans à la rembourser, contre moins de 10 ans pour le résultat final: économies de gaz, lumière naturelle… Sa toiture “rapporte” 200.000 euros par an.
“Cela demande parfois d’aller cherche des solutions un peu originales, mais qui existent. On était des gens au bord du dépôt de bilan. Si on est pauvre et qu’on peut le faire, c’est que la méthode mise en place fonctionnerait aussi pour les riches”, souligne Emmanuel Druon.
Les “pauvres” fabriquent deux milliards d’enveloppes de gestion par an, soit 70% du marché français.
De l’école primaire, Emmanuel Druon garde le souvenir de sorties en forêt ou à la plage, où non seulement il observait la nature mais ramassait les déchets.
“Les règles de fonctionnement que nous avons apprises étant enfant, quelles raisons tordues feraient que, devenant adulte, nous les aurions oubliées?”, s’interroge Emmanuel Druon. “Ma responsabilité d’industriel est aussi une responsabilité de citoyen”.
Emmanuel Druon est l’auteur de “Le syndrome du poisson-lune”, éd. Actes Sud.