«La légitimité démocratique est très importante pour les réformes ayant une grande portée». Le chef adjoint de la Division des Politiques de développement international de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) tire cette conclusion de l’expérience de 10 pays et qui enseigne qu’un mandat politique est important lorsqu’on s’attaque à des réformes touchant par exemple le marché du travail, la sécurité sociale, etc.
Mais même lorsque des dirigeants politiques ont la confiance des urnes, réformer restera pour eux un exercice difficile, et ce quel que soit le pays. «C’est difficile de réformer dans tous les pays», confirme M. Tompson. Donc, il sera difficile de réformer en Tunisie, en dépit de la légitimité démocratique de ses nouveaux gouvernants.
«…Les défis de la Tunisie sont aujourd’hui plus complexes».
Cette difficulté proviendra, selon Mustapha Kamel Nabli, ancien gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), de ce que les défis auxquels la Tunisie est aujourd’hui confrontée sont «plus complexes».
Sentiment et conviction confirmés par Radhi Meddeb. «Il a été, est et restera difficile de réformer en Tunisie pour deux raisons», estime le président de l’association Action Développement Solidaire (ADS).
La première est que «tout le monde parle de réformes mais n’en a pas la même compréhension».
«La Tunisie a vu l’émergence de groupes d’intérêts majeurs… aujourd’hui plus puissants que par le passé»
Ensuite, une réforme étant un changement de la manière de répartir un gâteau, les gens à qui le partage actuel profite –«indument», selon M. Meddeb- vont d’autant plus facilement s’opposer aux réformes qu’ils sont «puissants financièrement et politiquement».
En effet, les 30 à 40 dernières années de l’histoire de la Tunisie ont, selon Mustapha Kamel Nabli, vu l’émergence de «groupes d’intérêts majeurs, économiques, sociaux, etc.» qui sont aujourd’hui «plus puissants que par le passé». Et leur opposition aux réformes est d’autant moins difficile qu’«il est aujourd’hui beaucoup plus facile, d’un point de la technologie politique, de se mobiliser».
«… le paradoxe réside dans le fait que ceux qui vont profiter de la réforme… ne le savent pas»
Pour souligner à sa manière la difficulté et les risques de cet exercice, Hédi Larbi, ancien ministre de l’Equipement, de l’Aménagement et du Développement durable, cite Machiavel qui avait dit qu’«il n’y a point d’entreprise plus difficile à conduire, plus incertaine quant au succès et plus dangereuse que celle d’introduire de nouvelles institutions».
Et là, relève le président d’ADS, le paradoxe réside dans le fait que ceux qui vont profiter de la réforme, c’est-à-dire du changement de la manière de partager le gâteau, «ne le savent pas, ne vont pas se mobiliser et n’ont donc pas voix au chapitre».
Une attitude d’autant plus coûteuse que «ceux qui bénéficient d’une rente ne vont pas se laisser faire», analyse Hédi Larbi. Qui estime que, pour cette raison, «le gouvernement doit, afin de minimiser l’impact des oppositions, savoir comment ces gens-là agissent et quels outils ils utilisent».
«… les gens sont prêts à descendre dans la rue et à faire couler le sang pour défendre leurs intérêts».
Conscient, comme l’a déclaré Habib Essid, du haut de la tribune du Tunis Economic Forum (IACE, 12 mars 2015), que «l’Etat n’est pas le seul acteur en matière de réformes», le gouvernement semble vouloir privilégier le dialogue, et, partant, l’approche consensuelle qui a permis de sortir le pays de la crise politique. Mais, tacle Ahmed Bouzguenda, président de l’IACE, «dialogue ne veut pas dire consensus».
De surcroît, fait remarquer le président d’ADS, le consensus «ne sera pas opérant dans le domaine économique. Car dans ce domaine, les gens sont prêts à descendre dans la rue et à faire couler le sang pour défendre leurs intérêts».
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