Alcatel-Lucent et de Nokia (Photo : ALAIN JOCARD) |
[15/04/2015 17:07:16] Paris (AFP) Le gouvernement a beau jeu de brandir un “patriotisme à l’échelle européenne” dans le cadre du passage d’Alcatel-Lucent sous pavillon finlandais. Son action pour défendre les fleurons de l’industrie française est en réalité très fluctuante, selon les experts.
Cette stratégie est revendiquée, le ministère de l’Economie “fait preuve d’un volontarisme parfaitement lucide, très pragmatique. Il ne s’agit pas d’intervenir tous azimuts”, explique-t-on dans l’entourage du ministre. “On cible les choses qui sont importantes pour le pays, soit en raison des impacts positifs, en matière de recherche par exemple, soit de l’impact que cela peut avoir sur la filière, sur l’écosystème, sur l’emploi.”
Dans le cas du rachat du franco-américain Alcatel-Lucent par Nokia, il n’y aura pas, a assuré le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll, d'”affaiblissement industriel de la France”. “Au contraire, ce qu’on cherche à faire c’est garantir la pérennité de l’activité industrielle en France”.
“Clairement il y a eu un changement avec le gouvernement Valls-Macron. On est dans une politique beaucoup plus libérale de la gauche, qui ne revendique pas forcément le protectionnisme des capitaux et des savoirs-faire, qui estime que ce n’est pas parce qu’on laisse les entreprises étrangères s’intéresser à ce qu’on a, qu’on va perdre la main sur nos entreprises”, relève auprès de l’AFP Ludovic Subran, économiste à Euler hermes.
L’Etat s’est ainsi montré discret dans la fusion entre les cimentiers Lafarge et Holcim, prévoyant que le nouveau groupe aura son siège en Suisse.
Pour Alcatel-Lucent, le gouvernement a bien exigé des contreparties en termes d’emplois, en particulier sur la recherche et développement. Il n’empêche. Le nouvel ensemble sera baptisé “Nokia Corporation”, basé en Finlande et dirigé par les actuels patrons de l’équipementier finlandais.
Le précédent ministre de l’Economie Arnaud Montebourg avait aussi tenté de s’immiscer dans la vente des activités énergie d’Alstom en défendant un rapprochement avec le tandem germano-nippon Siemens-Mitsubishi, avant de s’incliner face à l’américain General Electric.
L’Etat n’a en revanche pas hésité à faire jouer son rôle d’actionnaire dans Orange pour inciter le groupe à favoriser un repreneur français, Vivendi, plutôt que le hongkongais PCCW pour le rachat de la plateforme de vidéos Dailymotion.
Avec le rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia, il y a “de quoi relativiser le discours de patriotisme économique martelé par certains ministres actuels ou passés”, a commenté Stéphane Richard, le PDG d’Orange, devant la presse. Il faut savoir “méditer sur l’histoire de l’industrie et être désormais plus prudents sur ces questions de patriotisme économique qui finalement n’ont pas grand sens dans ces industries”.
– “Il n’y a plus de politique industrielle” –
“Vaut-il mieux tout faire pour tenter de conserver une vieille gloire ou faire le nécessaire pour développer une activité plus dynamique et probablement plus porteuse pour les années à venir” comme les technologies, remarque Philippe Waecheter, directeur de la recherche économique à Natixis Asset Management.
En outre, “on reste dans le cadre d’une dynamique européenne”, souligne le spécialiste.
L’acquisition mercredi par la petite start-up française de co-voiturage BlaBlaCar de son principal rival, l’allemand carpooling.com qui a renforcé son statut de leader européen, a été immédiatement saluée par le ministre de l’Economie Emmanuel Macron comme un exemple de “French Tech en route pour (devenir) un nouveau leader mondial du numérique”.
Et puis quel sens donner au patriotisme économique quand nombre d’entreprises françaises du Cac 40 “sont en fait possédées par des actionnaires étrangers, par des fonds de pensions” qui peuvent à tout moment décider de déplacer le siège social, s’interroge Alain Trannoy, directeur d’études à l’EHESS à Marseille.
Dans ce cadre là, “il n’y a plus de politique industrielle. Il n’y a plus qu’une politique économique tendant à rendre plus attractif le site France” au sein d’entreprises multinationales, déplore-t-il.
Pour Ludovic Subran, le gouvernement semble en tout cas “préférer ne pas passer trop de temps à sauver des choses qui reviendrait à un combat contre le marché, et parfois contre l’opinion publique, et passer plus de temps à essayer de sauver le terreau sur lequel la France peut repartir”, à savoir le savoir-faire français dans les télécoms pour Alcatel.
Le gouvernement devra de toute façon selon lui faire face à des situations similaires dans les mois à venir avec l’énorme masse de liquidités injectées par les grandes banques centrales dans l’économie et à disposition des entreprises.