Ce qu’il faut savoir des nouvelles dispositions fiscales apportées par la loi des finances pour la gestion 2015. Visite guidée dans le labyrinthe fiscal.
La lecture des nouvelles dispositions fiscales se rapportant à la loi des finances pour la gestion 2015 vaut décryptage. Il s’agit de mesures dont l’un des objets est le retour progressif aux grands équilibres macroéconomiques, soutient Rachid Tmar dans un entretien à Webmanagercenter.com.
WMC : Quelles sont les nouvelles tendances de la fiscalité pour 2015?
Rachid Tmar : Ces mesures portent principalement sur la réforme fiscale par l’assouplissement, la rationalisation et la clarification des règles de la fiscalité, pour plus d’équité et de transparence. Ainsi que sur la maîtrise du recouvrement des impôts et taxes, et bien entendu sur la lutte contre le marché parallèle et le blanchiment d’argent.
Etant donné que nous restons sur une même configuration du budget, y a-t-il modification de la pression fiscale?
Il faut pour cela expliquer l’articulation des grandes masses du budget. L’estimation du déficit budgétaire pour l’année 2015 se situe à 4,9%. Elle s’explique par l’augmentation du titre II, celui consacré à l’investissement et au développement. Il est de 5,8 milliards de dinars tunisiens en 2015 contre 4,7 milliards de dinars tunisiens en 2014 avec une moyenne de 4,5 milliards de dinars tunisiens pour les années 2010 à 2013.
Elle est impactée également par l’augmentation des salaires de 6% contre une augmentation moyenne de 10-13% au titre des quatre dernières années. Elle est aussi affectée par l’augmentation de la part des ressources propres (73%).
Rappelons que la pression fiscale est de 22% au titre de l’année 2015 contre 22,7% pour 2014. La pression fiscale hors fiscalité pétrolière est estimée, pour 2015, à 20,4%. En l’occurrence les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Comment évoluent les ressources propres dans le budget 2015? Est-ce qu’elles augurent d’une dynamique de stabilisation?
Les ressources du budget au titre de 2015 proviennent, à concurrence de 73%, des ressources propres et 27% des ressources d’emprunt, dont 41% émanent des ressources locales d’emprunts.
Rappelons que le budget de 2009 était financé à 96% par des ressources locales, et un endettement extérieur bien maîtrisé.
Les ressources propres, en augmentation de 5% par rapport à 2014, sont constituées à concurrence de 89% par des recettes fiscales dont les impôts directs représentent 45%, soit une augmentation consistante de 12%. Nous continuons à croire que bien que le niveau des impôts directs évolue dans le bon sens, il reste toujours relativement bas et qu’il convient de l’améliorer davantage.
Par ailleurs, la technique des avances, sur impôt, continue à produire ses effets (la retenue à la source, les avances à l’importation, les acomptes provisionnels …). Mais elle a pour effet secondaire de créer des crédits d’impôt démesurés. Elle est estimée à 72% des impôts directs cette année.
Quid des impôts indirects?
Ceux-ci proviennent à concurrence de 51% de la TVA. Les 49% restants proviennent d’autres droits dont 18% de droit de consommation, qui continue malheureusement à coexister avec la TVA. Toutefois, nous observons qu’il se réduit, heureusement d’année en année. Il y a également 8% qui viennent des droits de douane.
Les ressources non fiscales représentent 12% des ressources propres. Elles concernent principalement:
– les revenus des EPIC soit 568 MDT
– les droits de passage du gazoduc (242 MDT)
– et le produit de la vente des biens confisqués (200 MDT).
Compte tenu de leur importance, faisons un focus sur les impôts directs. Quelles sont les principales modifications observées dans la LF 2015 notamment en matière de crédit d’impôt?
Il convient de souligner que l’article 17 de la nouvelle loi de finances vise à harmoniser les taux de la retenue à la source avec l’impôt annuel, et ce en réduisant le taux de 5% à 2,5% au titre des honoraires, commissions, courtages, loyers, et rémunérations des activités non commerciales, quel qu’en soit l’appellation, provenant des opérations d’exportation.
Il faut rappeler aussi la réduction du taux de la retenue à la source de 1,5% à 0,5% au titre des montants égaux ou supérieurs à 1.000 DT y compris la taxe sur la valeur ajoutée payée au titre des opérations d’exportation et aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés au taux de 10%.
Par ailleurs, l’article 19 traite de l’assouplissement de la restitution du crédit d’impôt. En effet, il a été ajouté que la restitution peut être payée intégralement par voie d’avance sans avoir recours à une vérification approfondie préalable, et ce sur présentation du rapport spécial du commissaire aux comptes relatif à l’audit du crédit d’impôt objet de la demande de restitution.
Un des nouveaux apports de la loi de finances de l’année 2015 est qu’elle s’intéresse désormais aux associations. Ainsi, un élargissement du champ d’application de l’impôt sur les sociétés pour couvrir les associations a été prévu par l’article 21.
Aussi, les dispositions prévues par l’article 54 du Code de l’IRPP et de l’IS ont été abrogées de telle sorte que le minimum d’impôt de 0,2% n’est désormais plus déductible de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés exigible successivement sur les exercices ultérieurs.
Quid des dispositions se rapportant aux retenues à la source?
Je commencerai par rappeler que la rationalisation du recouvrement de l’impôt exigible par voie de retenue à la source a été prévue par l’article 23. Le but de cette mesure est la consécration de la doctrine fiscale relative à la méthode de détermination de la retenue à la source non opérée ou de l’insuffisance de la retenue à la source.
Les retenues à la source au titre de l’IRPP et IS non effectuées sont considérées comme étant à la charge du débiteur, et la retenue due dans ce cas sera calculée selon la formule de prise en charge.
Quant aux sociétés non résidentes, la nouvelle loi de finances a prévu deux nouvelles dispositions. Il s’agit en premier lieu de la généralisation de la retenue à la source libératoire à tous les établissements stables en Tunisie des entreprises non résidentes, lorsque les services qu’elles réalisent autres que les travaux de construction, les opérations de montage, les travaux de surveillance ne dépassant pas en Tunisie la période de six mois. Il s’agit, ensuite, de la rationalisation du recouvrement de la retenue à la source au titre des revenus distribués pour les établissements stables, en Tunisie, des entreprises non résidentes.
L’apport de la loi consiste enfin, en matière d’impôt direct, en l’exonération des personnes physiques réalisant des revenus dans la catégorie de l’agriculture et de pêche, de la retenue à la source aux taux de 1,5%.
Au vu de leur importance, quelles nouveautés en matière de crédits indirects et de TVA, essentiellement?
En matière d’impôt indirect, nous retrouvons principalement des mesures relatives à l’assouplissement de la restitution du crédit d’impôt dans l’article 19 de la loi de finances. Il s’agit d’une restitution intégrale du crédit de la TVA sans vérification préalable à condition de présenter un rapport spécial du commissaire aux comptes. De plus, en 2015, le délai de restitution a été ramené à 7 jours afin de faciliter la restitution des crédits d’impôt et de TVA.
Aussi, il a été décidé une réduction du taux de la TVA à 12% au titre de l’électricité destinée à la consommation domestique et de certains produits pétroliers. Le but étant de préserver le pouvoir d’achat du citoyen de même que la compétitivité des entreprises ainsi que du secteur agricole.
Quelles ont été les principales nouveautés en matière des droits d’enregistrement et de timbre?
Trois apports ont été avancés par la nouvelle loi de finances pour la gestion de 2015:
– La maîtrise du recouvrement des droits d’enregistrement exigibles sur les contrats de marché conclus par les entreprises/établissements publics, l’exonération des contrats de prêts octroyés par la Banque tunisienne de solidarité des droits d’enregistrement;
– La mise à jour des droits de timbre dus au titre des déclarations d’importation des monnaies étrangères par l’institution d’un droit de timbre de 10 dinars tunisiens au titre des déclarations d’importations de monnaies étrangères tel que prévu par l’article 45;
– L’obligation pour l’acheteur public de retenir le montant des droits d’enregistrement lors du paiement du premier montant et, le cas échant, sur les montants payés ultérieurement. En outre, l’acheteur public sera également tenu d’annexer un engagement écrit et de procéder à la retenue à la source des droits d’enregistrement lors de l’enregistrement du marché. Le but étant ici d’harmoniser la législation fiscale avec la règlementation régissant la passation des marchés publics et de palier aux difficultés pratiques lorsque le détenteur du marché est non-résident non-établi en Tunisie;
– Enfin, l’exonération des contrats de prêts octroyés par la BTS des droits d’enregistrements, affirmée par l’article 38, vise à harmoniser la législation fiscale en matière des droits d’enregistrements applicables aux microcrédits et encourager les jeunes entrepreneurs.
Enfin, quelles autres nouveautés en matière d’incitations fiscales?
Pour parer aux difficultés rencontrées par les entreprises totalement exportatrices à écouler la totalité de leurs marchandises à l’étranger dans le contexte actuel, la loi de finances pour la gestion de 2015 a prévu un relèvement de la quotité des ventes sur le marché local.
Ainsi, les entreprises totalement exportatrices seront autorisées à écouler –durant 2015– leurs biens et services sur le marché local dans la limite de 50% de leur chiffre d’affaires à l’exportation départ usine réalisé durant 2014.
Dans tous les cas, les revenus et bénéfices provenant des ventes et prestations de services effectuées par ces entreprises sur le marché local sont soumis à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés selon les dispositions du droit commun.
Que peut-on retenir de la rubrique “Dispositions diverses“?
En sus de ce qui a été énuméré précédemment, d’autres dispositions ont été adoptées. Ainsi, dans un premier temps, les conditions du bénéfice de l’avance sur la TFP ont été améliorées. De ce fait, l’entreprise ayant bénéficié de la déduction de l’avance est tenue de présenter aux services du Centre national de formation continue et de promotion professionnelle, soit directement en contrepartie d’un récépissé, ou par lettre recommandée avec accusé de réception, un bilan pédagogique et financier des activités de formation réalisées, et ce dans un délai de deux mois à partir de la date de réalisation de la dernière action de formation et au plus tard fin janvier.
Ensuite, dans le cadre de la politique nationale d’économie de la consommation des carburants et en considération de la consommation élevée de carburants et du coût de l’entretien des camions âgés, il a été décidé la réduction du plafond de l’âge des véhicules bénéficiant des avantages fiscaux accordés aux Tunisiens résidents à l’étranger, à l’occasion de réalisation de projets. Cette disposition vise les camions dont l’âge ne dépasse pas, à la date de l’importation, cinq ans à partir de la première mise en circulation.
Enfin, dans la perspective de renforcer la transparence sur les transactions, contrecarrer l’évasion fiscale et lutter contre la fraude, de nouvelles mesures ont été adoptées, telle que l’application d’un droit au taux de 1% sur tous montants payés en espèce pour le compte des comptables publics qui dépasse 10.000 dinars en 2015. Ce montant est réduit à 5.000 dinars pour les montants payés en espèce et ce à partir du 1er janvier 2016.
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*Expert-comptable, DESS du droit de l’entreprise