“Nous nous attendions à des décisions radicales et fermes du gouvernement pour relancer l’investissement et rétablir la valeur travail dans ce pays”, affirme un avocat et homme d’affaires tunisien. “Nous avons l’impression que le pays est régi par des mafias de contrebande et des syndicalistes zélés”, déplore un autre. “La Tunisie a perdu confiance en ses institutions, ce qui constitue le plus grand danger”, souligne un troisième.
C’est en ces termes que des homme d’affaires tunisiens et français ont exprimé leurs préoccupations lors d’un débat organisé sur le thème «quelle stratégie de relance de l’investissement et d’amélioration de l’environnement des affaires en Tunisie?» par la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie (CTFCI).
La faute à l’administration…
Le président-directeur général de CMR (ancienne SOCOMENA), Claude Miguet, se plaint de l’imposition de certaines activités de son entreprise de réparation navale, affirmant que l’administration tunisienne soumet les rémunérations des techniciens que la compagnie fait venir de l’étranger à 15% de retenue à la source. “En même temps, l’administration de la Compagnie tunisienne de navigation (CTN) n’accepte pas que les travaux menés par le CMR Tunisie, pour la réparation de ses navires soient traités comme étant une activité à l’export. Les rapports avec l’administration deviennent plus lourds depuis 2011”.
Même constat pour un autre homme d’affaires tunisien travaillant sur le marché emirati pour qui seul “le recours à l’e-administration pourrait aider à contourner cette situation marquée par la complexité et la lenteur des démarches administratives”. Il a saisi cette occasion pour rappeler que depuis 2011, les pays du Golfe, dont les Emirats Arabes Unis, refusent d’accorder le visa aux ressortissants tunisiens, ce qui a entravé les activités des entreprises tunisiennes dans cette région. Et l’homme d’affaires de s’interroger: “que fait la diplomatie économique pour résoudre ce problème?”.
“En raison des tracasseries administratives, des budgets ont été perdus par Total Tunisie étant donné qu’ils n’ont pas été consommés au cours de l’exercice fiscal prévu”, selon le directeur général de la compagnie, Mathieu Langeron.
Il cite à titre d’exemple les formalités exigées pour l’obtention de permis de bâtir pour la réalisation de nouvelles stations de service qui devaient permettre la création entre 300 et 400 emplois.
La BCT pas épargnée par les critiques…
“Notre société a eu à subir le blocage de 100 millions de dinars par la Banque centrale, laquelle bloque également le transfert de 400.000 dinars au profit d’une société française qui a réalisé une ligne de métro léger en Tunisie, depuis 2009”, d’après Yadh Belagha, un responsable de cette société. “Nous avons proposé à la BCT de déduire les 11.000 dinars que nous sommes supposés devoir à l’administration, mais nous n’avons pas obtenu de réponse”, affirme-t-il.
Le service en charge des capitaux au sein de l’institut d’émission est carrément “un service cimetière” pour l’entrepreneur tunisien Habib Miled qui dénonce la paperasse exigée pour la réalisation de certaines transactions liées à l’activité de son entreprise dans le domaine du textile.
Gestion des déchets industriels…
Outre les tracasseries administratives, des hommes d’affaires ont évoqué les problèmes de gestion de déchets issus de l’industrie aéronautique et de l’infrastructure notamment dans le port de Radès. Certains d’entre eux ont même exprimé leur disposition à venir en aide à l’Etat dans ses efforts pour améliorer l’infrastructure et la gestion de ce port.
“Créons des associations pour contrecarrer l’absence de propreté, la dégradation du niveau de l’enseignement, le chômage…”, recommande, de son côté, Salem Chaibi, opérateur dans les matériaux de construction.
La réponse de Yassine Brahim
Le ministre de l’Investissement, du Développement et de la Coopération internationale, Yassine Brahim, affirme: “nous tiendrons compte de l’ensemble de ces préoccupations et nous sommes en train de préparer un état des lieux de la situation de l’investissement en Tunisie dans le cadre du forum de l’investissement prévu les 11 et 12 juin prochain. Le ministère compte faire le tour des différentes chambres mixtes pour recueillir leurs doléances”.
Et face à toutes ces critiques et bien d’autres, Yassine a promis de faire de son département un ministère de défense des investisseurs. Cela nous rappelle un certain Montebourg avec son ministère du “Redressement productif” en France…
Forte chute des investissements étrangers
Entre temps, la situation de l’investissement étranger en Tunisie continue sa dégradation enregistrant une baisse de 5,8%, pour atteindre environ 1,9 milliard de dinars, en 2014, mais comparativement à 2010, la chute est de 22,3%.
«Les investissements à participation étrangère dans le secteur industriel ont régressé de plus de la moitié (-58,3%)», note le président de la CTFCI, Foued Lakhoua.
Le flux d’investissements à participation française en Tunisie n’a cessé, depuis 2011, de baisser, ne dépassant pas 219,86 MDT en 2014. Le plus inquiétant dans tout cela c’est que non seulement les entreprises françaises investissement moins, mais certaines commencent à préparer des scénarios alternatifs, dit-il..