à Moscou, deux Russes étranglées financièrement par la chute du rouble et qui entament une grève de la faim (Photo : YURI KADOBNOV) |
[22/04/2015 10:21:56] Moscou (AFP) A l’origine, l’idée semblait alléchante: contracter un crédit immobilier en dollars à un taux bien plus avantageux qu’en roubles. Le pari a tourné au cauchemar pour des ménages russes, étranglés financièrement et qui s’estiment aujourd’hui oubliés des autorités.
Alors que le rouble perdait en quelques mois près de la moitié de sa valeur, la vie d’Ekatérina Kolotovkina a ainsi été bouleversée.
Les remboursements de cette Moscovite de 40 ans, fixés à 2.000 dollars par mois, ont été jusqu’à doubler cet hiver, au pire de la descente aux enfers de la monnaie russe sous le poids des sanctions occidentales liées à la crise ukrainienne et de la chute des cours du pétrole.
En mars, son mari de 52 ans est mort d’une crise cardiaque après des mois de dégradation de leur situation. “Il était très angoissé, sa pression sanguine changeait tout le temps”, raconte-t-elle. Aujourd’hui, elle risque l’expulsion avec son fils de trois ans faute de pouvoir payer ses traites à temps.
Les emprunts en devises étrangères, souvent contractés avant la crise de 2008-2009, constituent 3% à 4% de l’encours total des crédits en Russie: une partie “non significative économiquement” mais pour qui les conséquences sont “critiques”, a estimé en décembre le ministre de l’Economie Alexeï Oulioukaïev.
Face à une situation de plus en plus difficile, les détenteurs de ces crédits ont multiplié les appels aux secours. Plusieurs dizaines d’entre eux ont organisé des manifestations ou des flash-mob à Moscou et Saint-Pétersbourg. Ils ont bombardé leurs banques ou députés de demandes de conversion de leurs dettes en monnaie locale à un taux d’avant la crise.
En réponse à cet activisme, les autorités ont montré peu d’empressement à agir car la conversion pourrait provoquer des pertes pour les banques déjà affaiblies par la crise monétaire.
Poussés par la banque centrale, les établissements les plus concernés, notamment Delta Credit (filiale de la Société Générale), ont proposé des solutions individuelles à leurs clients. Mais ceux-ci rejettent des restructurations de leur dette qui ne font selon eux que prolonger leur calvaire en étalant les paiements.
Le gouvernement a fini par publier mardi un décret permettant de compenser les pertes, mais à de strictes conditions et à hauteur de seulement 200.000 roubles (moins de 3.500 euros).
– Grève de la faim –
Désespérés, des emprunteurs ont entrepris des mesures radicales, plusieurs d’entre eux se déclarant face à la presse en grève de la faim la semaine dernière.
“C’est le seul moyen de changer quoi que ce soit”, a expliqué, en larmes, Larissa Morozovitch. Cette femme de 38 ans a expliqué que sa banque lui avait proposé d’étaler les traites et de les transmettre à sa fille.
Pour attirer l’attention, un homme s’est aussi enchaîné à la grille d’une ambassade à Moscou et un vétéran de 89 ans en fauteuil roulant, dont la petite fille est concernée, a manifesté devant le siège du gouvernement.
éunies à Moscou, qui se déclarent étranglées financièrement après la chute du rouble (Photo : YURI KADOBNOV) |
Dans une lettre ouverte, les détenteurs de crédits en devises en ont appelé à Vladimir Poutine: “La plupart des emprunteurs ont atteint leur limite physique et psychologique”, ont-ils plaidé, exposant des situations où certains se trouvent au bord du divorce ou tentés de vendre leurs organes.
Mais le président russe, lors d’une émission télévisée la semaine dernière, leur a opposé une fin de non-recevoir, expliquant qu’ils avaient sciemment pris des risques en empruntant en dollars, en euros ou en yens.
“Bien sûr, nous attendions une autre réaction”, reconnaît Larissa Roubliova, en grève de la faim.
Le rebond du rouble, de près de 40% en deux mois, n’apporte à ces Russes qu’une maigre consolation, leurs traites restant 50% plus élevées qu’avant la crise.
“Les emprunteurs en devises ont des raisons d’en vouloir aux autorités”, juge l’économiste Igor Nikolaïev, de l’institut FBK Grant Thornton, rappelant que le gouvernement est responsable de la stabilité du rouble. “Ces gens sont les victimes de la crise”.