La Tunisie ne souffre pas que de détresse économique, des problèmes de propreté de préservation de l’environnement et de pollution y sévissent aujourd’hui. Comment être un pays respectueux de l’environnement, de croissance économique et développement durable? Comment aborder les défis environnementaux dans un contexte sociopolitique qui reste transitionnel et fragile?
C’est à cette mission que s’attelle Néjib Darouiche, ministre de l’Environnement et du Développement durable.
C’est le capitaine d’un navire à la recherche des rives du salut. Pourra-t-il naviguer dans les eaux troubles d’une Tunisie qui essaye de se remettre debout?
Réponses dans l’entretien ci-après.
WMC : La propreté, la préservation de l’environnement et les stratégies de développement durable impliquent l’intervention de nombre de vis-à-vis, aussi bien les autorités publiques que la société civile et le secteur privé. Comment pouvons-nous définir les prérogatives de chacun pour déterminer les responsabilités des différentes parties prenantes en la matière?
Néjib Darouiche : Comme vous l’avez mentionné et à juste titre, il n’y a pas un seul intervenant pour assurer toutes ces missions dans notre pays. Soyons clairs, la propreté relève en premier lieu des prérogatives des municipalités, en partie au ministère de l’Equipement pour ce qui est des autoroutes, des grands axes routiers et des grandes artères dans les zones urbaines. Au ministère de l’Agriculture incombe la responsabilité d’assurer la propreté dans les zones agricoles, ou dans les petits villages. On oublie souvent que les prérogatives de notre ministère ne se limitent pas à la préservation de l’environnement mais également à l’intégration de toute action socioéconomique dans une démarche de développement durable.
Je réalise que l’on veut nous confiner dans le rôle de d’acteur principal dans tout ce qui touche à l’environnement. Nous en assumerons la responsabilité. Il est grand temps pour que la stratégie nationale pour la préservation de l’environnement, la propreté des villes et le développement durable soient conduite par un seul acteur qui mettra à contribution toutes les parties prenantes publiques ainsi que la société civile et le secteur privé.
Pour déterminer les responsabilités, il faut identifier le pilote, nous assurons nous-mêmes, en tant que ministère, un rôle parmi d’autres, mais j’estime personnellement que la responsabilité nous en incombe. Nous œuvrerons, en concertation avec nos partenaires, à l’assumer entièrement et totalement pour être plus efficients.
L’axe sur lequel nous sommes en train de travailler est comment coordonner avec eux pour garantir le plus d’efficacité possible à toutes les actions que nous sommes décidés à entreprendre et en premier la propreté de nos villes.
Vous avez à maintes reprises évoqué les grands problèmes environnementaux dans notre pays dont les déchets industriels qui touchent surtout des régions comme Gabès, Gafsa, Sfax et même dans les périphéries du Grand Tunis. Il y a des zones industrielles d’où émanent des substances polluantes qui ont des effets néfastes sur l’environnement et même des voitures très polluantes. Quels sont les premiers chantiers auxquels vous comptez vous attaquer?
Nombreux sont les chantiers que nous devons entamer, comme vous venez de le citer. Mais notre priorité est de mettre en œuvre les cinq mesures des cent jours, on en a parlé assez, je pense qu’elles sont connues. Il s’agit de résoudre le problème du traitement des ordures à Djerba en mettant en place, entre autres, une unité de traitement des ordures pour une durée de 2 ans. Soit le temps que nous comptons consacrer pour trouver des solutions radicales relatives à la collecte et au traitement des déchets en adoptant de nouvelles technologies pour leur transformation en engrais ou en compost.
Elargir la capacité d’accueil de la décharge de Borj Chakir, par l’ajout d’une nouvelle section qui recueillera les déchets jusqu’à la fin de l’année 2017.
Nous ambitionnons d’éliminer 80% des problèmes environnementaux sur tout le territoire national grâce à la mise en place d’un programme d’assainissement s’attaquant aux ordures ménagères, aux gravats de construction et de démolition, au curage des oueds, au cours d’eau, plages et aux espaces verts.
Les nouvelles technologies seront mises à contribution par l’adoption de «l’Internet-Mobile» par le biais des smartphones. Soit une application que nous chargeons sur nos téléphones et qui permet d’identifier en temps réel les défaillances, en prenant des photos. Grâce au GPS, l’emplacement est transmis au serveur de la municipalité la plus proche. Nous avons, nous-mêmes en temps réel, une copie de la requête avec un code et cela nous permet d’assurer le suivi et de renforcer opérations de contrôle. Les serveurs peuvent être virtuels, il ne s’agit pas forcément de hardware.
Parallèlement, nous doublerons le nombre d’observateurs ainsi que les mesures de contrôle spécialement dans les zones environnementales vulnérables.
Qu’en est-il pour ce qui est des zones maritimes?
L’application dont je viens de vous parler sera opérationnelle sous peu. Elle sera surtout un outil municipal. Ensuite, il y aura d’autres fonctionnalités qui y seront adjointes.
Pour ce qui est du domaine maritime, il y a un grand travail de coordination à fournir. Une commission nationale de suivi chapotée par le ministère de l’Environnement a pour principale mission et objectif de rendre la Tunisie plus propre. Il faut absolument qu’elle réussisse. Nous ne voulons pas disperser nos efforts, par conséquent nous avons réuni les ministères concernés, le gouverneur des gouverneurs et nombre d’associations dont les scouts pour contribuer à un travail collectif coordonné par notre ministère sur le thème “propreté des villes“. C’est le premier pas vers une action d’envergure nationale.
Cette commission sera en tête de sous-commissions régionales ou territoriales, trois ou quatre qui constitueront de taskforce.
La philosophie de cette démarche est de faire du ministère de l’Environnement et du Développement durable un catalyseur et un moteur pour mobiliser les divers départements au service du même objectif.
Je voudrais revenir à l’affaire Djerba, qui a empoisonné l’espace public pendant des mois. Qu’avez-vous fait pour y mettre fin?
J’en ai parlé au début de l’entretien, il y a cette unité de traitement des ordures (unité d’emballage sous pression des déchets) qui a été installée à la décharge municipale de Sidi Salem. Elle nous donne un sursis de 18 mois ou deux ans, le temps de résoudre radicalement le traitement de collecte des ordures et de leur traitement.
Nous allons passer de la méthode classique et archaïque qui constitue à creuser une grande pour y terrer les ordures. Ce sera fini, il n’y aura plus de nouvelles décharges comme celles d’aujourd’hui, Djerba est précurseur, le Grand Tunis sera le second bénéficiaire de ce que nous appellerons désormais comme des centres de tri et de traitements des déchets.
A l’ordre du jour, leur valorisation par l’usage de nouvelles technologies et de transformation des résidus et débris. Grâce aux nouveaux procédés, nous pouvons produire du gaz, de l’électricité, nous valoriserons les déchets et userons de la technique du compostage qui, comme vous le savez, consiste à convertir et valoriser les matières organiques et les transformer en un produit stabilisé et hygiénique. Espérons que la législation suivra.
Il est clair que l’Etat ne pourrait à lui seul assurer ce genre de mission. Pensez-vous important d’adopter la démarche PPP en la matière? (Partenariat public/Privé).
Nous comptons nous inspirer d’autres pays dont les expériences dans ce domaine ont été des réussites. Nous avons rencontré le ministre portugais de l’Environnement ainsi que son équipe. Il y a une dizaine d’années, ils ont souffert des mêmes problèmes que nous endurons nous-mêmes aujourd’hui. C’est un pays soumis aux normes et standards européens. Les prérogatives de ses municipalités étaient très limitées et ne disposaient pas des moyens financiers qui leur permettent d’investir dans l’édification de centres de traitement.
A l’époque, ils avaient regroupé tous les services et les agences environnementales en une seule entité et ont lancé un programme de partenariat public-privé. Ils ont introduit les privés dans les capitaux des agences publiques, ce qui a permis à ces dernières d’avoir une plus grande force de frappe et d’être plus efficientes.
Elles ont supervisé toute la chaîne de valeur. Elles ont assumé la responsabilité de la collecte des ordures, leur traitement, leur transport et jusqu’à la commercialisation des ordures et débris après traitement et compostage.
Ces agences sont municipales, donc soumises au contrôle du maire tout en étant autonomes au niveau du mangement. Ensuite, elles ont pris en charge la responsabilité de l’assainissement, ce qui nous ramène au rôle de l’ONAS.
Prenons l’exemple de l’ONAS, même si nous ne l’incluons pas dans la logique du PPP, je trouve que ses activités sont trop centralisées. Imaginez, pour réparer une conduite d’eau qui ne fonctionne plus ou qui est bouché à Kasserine, il faut revenir à Tunis pour la réparer, alors que c’est plus simple de résoudre le problème à l’échelle locale.
Il faut absolument décentraliser les activités de l’assainissement, il ne sert à rien d’appeler le ministre de l’Environnement et du Développement durable pour y remédier alors que l’on peut résoudre le problème à l’échelle locale.
Comment comptez-vous vous y prendre sur le plan procédural?
La meilleure formule à l’échelle institutionnelle c’est de faire entrer les capitaux privés et de dupliquer des expériences qui ont déjà réussi de par le passé. Nous avons lancé ce chantier, nous sommes en train de communiquer dessus, nous consultons les partenaires sociaux comme l’UGTT et l’UTICA ainsi que nos vis-à-vis dans l’Administration publique.
Nous planchons sur l’organisation d’un grand séminaire sur la gestion des déchets qui nous offrira l’opportunité d’expliquer notre stratégie au grand public et principalement aux investisseurs potentiels.
Nous recevons beaucoup de demandes de la part d’investisseurs qui veulent s’y mettre dès maintenant. Nous allons commencer par préparer le cadre législatif pour ce qui est de la production de l’énergie. Ce qui facilitera aussi bien partenariat qu’investissements.
Dès que le cadre légal sera prêt, nous entrerons en action.
Avez-vous prévu un calendrier pour la concrétisation de toutes vos actions?
Malheureusement la stratégie que je suis en train de vous exposer exige du temps. Mais ce sont des délais incompressibles. Entre temps, nous essayons d’accélérer les choses et surtout d’achever les études de faisabilité.
Pour Djerba, c’est en cours et nous comptons en faire un projet pilote. Les financements et les études techniques ont été bouclés. Nous espérons que les investisseurs privés seraient intéressés par ce projet et nous pourrons ainsi faire de Djerba la vitrine de ce qui peut être fait au niveau environnemental.
Ne demanderiez-vous pas trop aux privés? Surtout qu’après le 14 janvier, ils ont été complètement écartés du marché national et nous avons l’impression que de nouveaux joueurs sont apparus…
Il y a de nombreuses décharges et dépotoirs à gérer. Il va y avoir une relance des contrats d’exploitation avec les privés, ceux existants finissent cette année. Nous travaillons sur un nouveau cahier de charges pour la prochaine phase. Les contrats de gestion et d’exploitation auront une durée de 3, 4 et 5 années. Espérons que, entre-temps, les unités de traitement seront prêtes et qu’il y aura plus de candidats pour l’exploitation et la gestion des déchets.
Cette fois-ci, les contrats incluront la préservation de l’environnement immédiat des décharges et la réhabilitation régulière de la décharge, ils incluront également de nouveaux critères d’hygiène. L’Etat sera le régulateur, il y aura un mécanisme de contrôle, des pénalités en cas de non-respect des clauses du contrat qui sera complètement différent, mais nous travaillerons sur les mêmes décharges.
S’agissant des prix des déchets ménagers, comptez-vous revenir à cette expérience qui a réussi et dont la locomotive a été la Cité olympique à Tunis?
Cela se fera à Djerba. Sur l’île, entre 50 et 60% des déchets sont hôteliers, et c’est beaucoup plus simple d’établir des tris sélectifs s’agissant de résidus d’unités hôtelières. J’ai omis de dire que nous travaillons sur le volet environnement avec la coopération japonaise. Ils ont atteint le niveau maximum en matière d’optimisation et de réduction du volume des déchets. Ils sont les champions du monde en la matière.
Avant de parler de traitement et de valorisation, ils sont les plus performants pour ce qui est du tri et de la valorisation des déchets. Ils ont pu également réduire le coût grâce à des techniques assez avancées. Nous comptons nous baser sur l’expertise japonaise pour lancer un projet pilote dans une ville du nord-ouest -je suis en train d’en discuter avec le gouverneur de Jendouba.
Vous avez parlé du projet de regrouper les agences environnementales en une seule entité, sur le plan pratique, comment cela se traduira-t-il?
Nous allons faire un découpage géographique. Une agence doit pouvoir couvrir trois ou quatre gouvernorats. Chaque agence concentrera ses efforts sur une mission qu’elle doit mener de bout en bout dans sa zone de prédilection. Qu’il s’agisse de propreté, de préservation de l’environnement ou d’hygiène. Chaque agence est maîtresse dans son territoire. Ce n’est pas facile, nous en sommes conscients. Préserver l’environnement dans une optique de développement durable et en nous basant sur les outils dont nous disposons est de la haute couture. Cela nous prendra du temps mais nous y arriverons.