Ce serait un leurre de croire que de la croissance au développement, il n’y a pas qu’un pas. Le bridging entre les deux nécessite tout un travail d’ingénierie en matière de planification. Nous sommes face à un défi de contenu. Et ce n’est pas le moindre des défis, affirme Radhi Meddeb.
Faire revenir la croissance ne peut pas constituer le seul objectif pour dynamiser l’économie du pays, tranche, de manière nette, Radhi Meddeb lors des débats du Forum de Réalités (23-24 avril à Hammamet).
A la question de savoir ce qu’il faut faire pour que l’opinion perçoive les prémices du redressement économique et son corollaire de progrès social et de développement régional, Radhi Meddeb affirme, avec conviction: du développement. Il rappelle avec fermeté que l’opinion est en alerte et qu’il est nécessaire de lui envoyer des signaux forts. Elle doit constater que l’état commence à agir, et que son action s’inscrit dans une perspective de long terme. Elle doit voir que des changements significatifs vont intervenir.
Le discours de Radhi Meddeb rappelle à l’exigence de méthode, ce qui ne manque pas de rigueur.
La croissance est nécessaire mais insuffisante
Pourquoi ce désenchantement de la croissance? La raison est simple, soutient Radhi Meddeb qui rappelle que, depuis l’indépendance, le pays a réalisé une moyenne annuelle de croissance de 5,5%. En soi, c’est une bonne moyenne mais cela n’a pas suffi à transformer, de manière radicale, l’économie du pays. La richesse produite a été insuffisante outre qu’elle était mal répartie. Les poches d’injustice ont trop pesé sur le tissu de solidarité. Les inégalités ont créé une situation de dualité entre une Tunisie qui a trop tiré le drap vers elle et la Tunisie d’en bas.
Quand la croissance devient un simple phénomène mécanique, elle laisse en suspens l’essentiel, c’est-à-dire le développement. Quand bien même, on était 34ème dans le classement de Davos pour la compétitivité, les ressorts de la croissance ont fini par rompre tant les inégalités touchaient à l’extrême. Se focaliser sur le seul objectif de retour de la croissance, à l’heure actuelle, revient à botter en touche, laisse entendre Radhi Meddeb.
Et il appelle l’attention sur un fait fondamental. Désormais, la prévision économique devra intégrer les composantes du développement si l’on veut que le nouveau modèle parvienne à donner un horizon viable à l’économie du pays. Il faut, selon lui, qu’il y ait un ressenti d’une volonté de rupture. Dans le pays on doit sentir une impulsion nouvelle, qui redonnera des couleurs à l’économie. Il serait souhaitable, pour le retour de la confiance et de l’espoir chez le bon peuple, que la planification indique de manière manifeste que le changement sera là et qu’il y aura une nouvelle gouvernance pour plus d’efficacité.
L’investissement dans l’infrastructure est nécessaire mais pas suffisant
Radhi Meddeb prévient que si la planification aura pour seul but le noircissement des colonnes de la matrice des échanges intersectoriels, on aura un nouveau modèle économique bancal. A l’évidence, il faudra renforcer l’infrastructure du pays à l’effet de conforter la chaîne logistique. Mais construire une route par-ci, un barrage par-là, ne fait pas sens si l’on veut que le développement diffuse.
L’ampleur des inégalités est alarmante. Comment accepter que 18% de nos compatriotes soient analphabètes malgré les efforts de scolarisation tous azimuts? Cet échec est imputable aux tares de la planification passée. Le système est à repenser.
L’on doit s’évertuer à créer les conditions d’une poussée dynamique qui profite à l’ensemble des régions. Cette poussée doit être homogène. Le plan d’aménagement du territoire doit connaître une refondation salutaire. On doit, conformément à l’indice de Gini, doser la concentration des RH, du capital ainsi que de l’infrastructure dans le maximum de régions de l’intérieur du pays.
A ces conditions, la dynamique économique diffuse et irradie dans tous les recoins du territoire. Il ne faut plus que le développement se fasse par îlots séparés et cloisonnés, enclavés. Il convient de trouver la voie pour parvenir à un maillage territorial garantissant une synergie entre les régions. L’infrastructure est un instrument, le développement est la finalité. On comprend donc le dépit que ressent Radhi Meddeb quand on se contente de ressortir feus les grands projets de leur carton dont le Port en eaux profondes d’Enfidha ou le Port financier de Raoued. A l’évidence, l’activation de ces projets donnerait un coup de fouet à l’activité sans toutefois résoudre la question du développement.
L’ouverture et la performance: donner du souffle et créer un appel d’”aire”
Construire une voie ferrée jusqu’à Thala, c’est bien. Mais cela ne fera pas que Thala soit moins en autarcie. Il ne faut pas croire que les gens de la côte en profiteront pour venir s’y installer. C’est l’inverse qui risque de se produire. On verrait plutôt des gens de Thala migrer vers l’ailleurs, la capitale ou le littoral. Au final, le raccordement ferroviaire n’aurait fait de Thala qu’une sorte de destination cul de sac, et cela ne bouleverserait pas son destin. En revanche, si en reliant Thala au réseau ferroviaire on songe à étendre cette jonction avec un réseau qui aurait des ramifications régionales diverses -transmaghrébines ou africaines-, cela donnerait du souffle aux gens de la région. De la sorte, on leur procure des possibilités d’échanges avec une aire au potentiel élevé.
Radhi Meddeb insiste pour rappeler que l’ouverture développe les échanges. Et les échanges confinent à la performance. Et c’est ce tour de force qui fera que les régions en prise directe avec le marché, y compris international, peuvent cultiver des positions fortes et des avantages comparatifs. C’est à ce prix que la dynamique économique pourrait devenir un phénomène durable car elle s’est construite à l’épreuve du marché.
Faire une place à l’économie sociale et solidaire
Permettre à Thala de s’incruster dans un ensemble économique plus vaste donne de la viabilité à son essor économique. Par quoi conforter cette perspective d’intégration? Radhi Meddeb considère que l’économie sociale et solidaire peut y pourvoir, en attendant que l’onde de choc des grandes réformes diffuse dans les régions de l’intérieur.
Evidemment et on l’aura compris, il s’agit de l’économie sociale sous son visage mutualiste, dont on sait qu’il peut concerner tous les secteurs d’activités, services financiers compris.
Sous cet angle, la valorisation du potentiel des régions favoriserait le développement et pourrait corriger les disparités et niveler les inégalités en tous genres. Et puis à Dieu va, chaque région pourra faire valoir son index de dynamisme et d’entrepreneuriat. Et c’est là que doit intervenir tout le travail d’ingénierie qu’il faut savoir mettre dans l’effort de planification.
Rompre l’isolement des régions reculées ou peu nanties, c’est certainement la voie du salut. Cependant, l’on ne sait si on peut optimiser ce choix en gardant les structures d’un Etat centralisé. De notre point de vue, la régionalisation est une option inévitable car les locaux savent se mettre en intelligence avec les spécificités du terrain mieux que tous les planificateurs des administrations centrales.