Le Canada étend les pouvoirs de ses services secrets, non sans inquiéter

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à ottawa le 15 avril 2015 (Photo : Cole Burston)

[07/05/2015 05:31:24] Ottawa (AFP) La chambre basse du Parlement d’Ottawa a adopté mercredi soir une loi antiterroriste étendant considérablement les pouvoirs des services canadiens de renseignement, qui pourront exercer un contrôle inédit d’internet et se livrer pour la première fois à de l’espionnage à l’étranger.

Décidée après deux attaques islamistes à l’automne, où deux militaires avaient perdu la vie au Québec et au Parlement d’Ottawa, le texte a été adopté en dépit de l’opposition d’une vaste coalition de la société civile qui craint une surveillance systématique d’internet.

Au lendemain de l’adoption par l’Assemblée nationale française d’un projet de loi lui aussi controversé sur le renseignement, la chambre des Communes canadienne a voté l’adoption de la loi C-51 par 183 députés contre 96.

La législation doit encore être approuvée par le Sénat avant d’entrer en vigueur mais il ne s’agit que d’une formalité, les conservateurs au pouvoir y étant aussi majoritaires.

Annoncée il y a six mois, au soir de la fusillade au Parlement d’Ottawa, puis débattue par les députés en à peine deux mois, cette réforme des services du renseignement canadiens suscite bien des inquiétudes au Canada.

“Des milliers de Canadiens sont descendus dans la rue pour protester contre ce projet de loi qui va éroder nos libertés et nos droits. Ces gens ne voulaient pas que la peur triomphe sur les valeurs mêmes qui guident notre démocratie”, a dénoncé le Nouveau parti démocratique (NPD, gauche), première formation de l’opposition, qui qualifie le texte de “néfaste”.

Dans une tribune récente dans la presse nationale, une soixantaine de chefs d’entreprises travaillant dans le numérique ont exprimé de leur côté leur crainte que la loi ne “mine la réputation du Canada” et ne nuise à leurs affaires.

Redoutant que la surveillance d’internet au Canada s’apparente à celle menée aux États-Unis par l’agence de renseignement NSA, ces entrepreneurs ont appelé à la mise en place d’un organisme indépendant de contrôle garantissant le respect de la vie privée numérique.

– Loi ‘antidémocratique’ –

Dans les faits, cette loi doit renforcer l’arsenal juridique pour empêcher les départs d’apprentis terroristes vers des zones de combat –en bloquant notamment l’achat de billets d’avion sur internet–, et prévenir de prochaines attaques.

Le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, a défendu mercredi la loi en expliquant qu’elle était nécessaire pour “nous assurer que les terroristes du jihadisme international qui nous menacent ne puissent passer à l’action”.

Jusqu’ici cantonné à la collecte d’informations et à la surveillance, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) pourra notamment “perturber” les actions de présumés terroristes, en piratant par exemple leurs comptes internet, et placer sur écoute des Canadiens et leurs proches si jamais ils sont soupçonnés d’avoir une “intention” malfaisante.

Pour arrêter plus facilement un individu, les agences fédérales pourront s’adresser à un juge lors d’auditions secrètes, auxquelles aucun avocat de la défense ne sera présent, ce qui fait dire aux associations de juristes, comme au Commissaire à la protection de la vie privée, un haut fonctionnaire relevant du Parlement, que la loi viole les droits fondamentaux des Canadiens.

L’échange et le partage de contenus sur internet servant de “propagande terroriste” deviendra en outre un geste criminel, quelle que soit l’intention de l’internaute en cause.

Les détracteurs de la loi ont averti qu’une fois adoptée, celle-ci serait portée en justice, certains observateurs pronostiquant même que l’affaire se règle devant la Cour suprême.

Les Amérindiens, souvent à la pointe de l’opposition aux projets d’exploitation des ressources naturelles (et surveillés à ce titre par les services de renseignement), ont promis de s’opposer “vigoureusement” à cette loi qu’ils jugent “antidémocratique”.

Une pétition demandant le retrait de la loi a été signée par plus de 200.000 Canadiens, pour qui cette réforme va transformer les services du renseignement en “police secrète”, violer la Constitution et conduire à une “surveillance de masse”.