AEROLIA Tunisie est passée, il y a deux années, par des turbulences sociales, lesquelles, loin de la fragiliser, l’ont rendue encore plus forte. Discrets et préférant l’action à la communication, les premiers responsables de l’une des plus grandes firmes d’aérostructures mondiales se sont, ces dernières années, concentrés sur le renforcement de leurs assises aussi bien technologiques que socioéconomiques. La fusion avec une autre filiale d’Airbus au nom de SOGERMA les a fait sortir d’une sage discrétion pour une communication constructive à propos de leurs réalisations, leurs projets et leur vision.
Entretien avec Ouassim Berraies, DG de Stelia Aérospace Tunisie
WMC : Qu’y a-t-il de nouveau sous les cieux d’Aérolia ? Y a-t-il eu des changements notables?
Ouassim Berraies : Le changement est là. Il s’agit d’un Parc aéronautique qui abrite 8 entreprises. On cite très souvent Aérolia, mais en réalité le fait de parler d’Aérolia c’est occulter l’existence de 8 entreprises. Nous pouvons considérer AEROLIA comme le client final de cette structure.
Pour mieux comprendre l’importance du site, je vais vous montrer la maquette de cet ensemble d’entreprises qui représentent une sorte de cluster aéronautique. Le concept du Parc aéronautique de Mghira est unique dans le monde. Il y a beaucoup de parcs aéronautiques de par le monde. Ce qui rend celui d’El Mghira singulier est qu’il a été conçu de manière à ce que chaque partenaire ait un rôle vital à jouer.
Chaque entreprise parmi les huit qui nous entourent est une entité juridique indépendante. Chacune appartient à son propre groupe et dispose de sa propre direction.
Figeac Aero fabrique des pièces en aluminium qui se montent dans la structure de l’avion. Elle produit également les panneaux destinés aux encadrements du porte-cargo de l’A320 ainsi que des profilés en aluminium.
Mécahers est experte en pièces en tôlerie. Ces pièces en tôles fines sont en aluminium et sont destinées exclusivement à la filière aéronautique. On leur donne des configurations et des contours spéciaux pour les passages de câbles, les supports de renfort des structures d’avion, etc. Une autre de ses activités c’est l’assemblage de meubles électriques pour divers client aéronautiques.
Les pièces issues de ces deux entreprises sont prises en charge par Mécaprotec pour le traitement chimique de leur surface et leur peinture. Ces traitements sont spécifiques à l’activité.
Thyssen Krupp Tunisie alimente tous les besoins des entreprises en matières premières Aluminium pour les pièces élémentaires.
Corse Composite, unique partenaire du Parc à ne pas livrer AEROLA Tunisie mais AEROLIA France, fabrique des éléments en composite.
Les activités du Parc son rythmées par un Partenaire Logistique “SFTL“ présent sur le Parc qui assure la cohérence de l’ensemble en termes de flux et de Just in time.
Un partenaire spécialiste des outillages de production et en maintenance -Mécanyvois Tunisie-, est également présent pour répondre aux besoins des partenaires.
Il y a une communauté d’intérêt comprenant des entités autonomes travaillant de concert au service d’un client.
Comment toutes ces entreprises et à leur tête Aérolia ont-elles résisté aux bouleversements de la période post-janvier 2011?
A l’origine, un autre partenaire devait nous suivre mais, à la suite du niveau de risque post-révolution, a dû renoncer faute de financement.
AEROLIA a toujours cru en ce projet. Elle a donc décidé de reprendre l’activité pour continuer d’assurer la cohérence de l’ensemble.
Nous avons donc inclus dans nos activités locales l’usinage et l’équipement de pièces aéronautiques.
C’est donc un groupe d’entreprises qui travaillent toutes dans l’aéronautique. Est-ce suffisant pour faire du Parc de Mghira un parc singulier?
Toutes ces entreprises, indépendantes juridiquement et managérialement, sont des fournisseurs d’AEROLIA SAS.
Le concept est unique parce qu’une chaîne de valeurs a été mise en place afin de permettre, in fine, la fabrication d’aérostructure en quasi just in time. Cela a facilité les montées en cadence et la réactivité pendant le démarrage et après.
Les systèmes d’informations des différentes entreprises sont synchrones, permettant une coordination efficace et un résultat final satisfaisant.
Nos partenaires en étant informés en quasi temps réel de nos besoins, nous approvisionnent dans les délais avec les besoins réels.
Il y a une très grande réactivité, et une dynamique interne extrêmement importante sur le Parc. Le système de distribution est fermé et fonctionne de manière harmonieuse sur le modèle de la «tournée du laitier» (milk run).
Aujourd’hui, vous estimez que votre «système» avance bien?
Aujourd’hui nous pouvons dire que c’est une très belle réalisation. Nous avons reçu des visiteurs prestigieux comme des représentants de notre Groupe Airbus, mais aussi Bombardier, Embraer, Boeing, et d’autres. Le potentiel est important et le concept suscite souvent l’admiration.
Pour ce qui est des qualifications, nous sommes une entité de fabrication de parties complètes de tronçons d’avion. Nos activités se situent aussi dans celles à forte valeur ajoutée.
Etant une filiale du Groupe Stelia, lui-même filiale détenue entièrement par Airbus, nous avons l’ensemble du requis pour fabriquer des pièces avions. Nous avons d’abord l’Agrément de production pour fabriquer des pièces avions délivré par la Direction générale de l’aviation civile française, condition sine qua non pour livrer des pièces d’aérostructure.
Ensuite nous avons nos certifications Système telles que l’EN 9100 et l’ISO 14001, élément important pour nos clients.
Que fabriquez-vous exactement?
Nous fabriquons essentiellement des tronçons pour toute la famille de l’A320, (A320, A321, A319).
Sur certains éléments, nous fabriquons jusqu’à 100% des cadences demandées par le Client. L’avions est divisé en plusieurs tronçons. Stelia Tunisie fabrique essentiellement des éléments de la pointe avant tels que la partie inférieure comportant l’encadrement de la porte Cargo, les encadrements de portes passagers, les panneaux latéraux, bref une bonne partie de la pointe avant en excluant le cockpit qui a une géométrie complexe.
Plus que fabriquer des «tronçons» d’avion, avez-vous un centre de recherche justement puisque vous parlez d’expertise et haute valeur ajoutée?
Ici à STELIA, nos activités ne se limitent pas à la production mais comprennent également de l’engineering. Nous avons un bureau d’Etudes de 30 personnes. Parmi eux, des ingénieurs et des techniciens supérieurs tunisiens. Le responsable est tunisien et vient de l’aéronautique. En tout, 766 personnes travaillent à STELIA. Les compétences sont tunisiennes. Il faut le souligner, car l’entreprise est jeune et le groupe a investi énormément en formation et en encadrement.
Expliquez-nous la mission exacte du bureau d’études
Le bureau d’études travaille sur trois axes principalement. Le stress sur la structure de l’avion, le design et le support à la production.
Nos ingénieurs et techniciens ne travaillent pas que sur la gamme A320, ils travaillent sur d’autres types d’appareils de la gamme AIRBUS telles que l’A400M, l’A320 NEO, l’A330 par exemple pour les besoins des autres sites de STELIA.
En 2 ans, nous avons constitué une équipe de 30 personnes de niveau reconnu.
Est-ce que c’est reconnu à l’international, en France?
Oui. A l’issue de cette deuxième année d’activité, les effectifs Calcul et Design ont atteint 20 personnes et les perspectives sont positives.
Aujourd’hui, le succès de cette démarche nous a encouragés à développer d’autres activités à forte valeur ajoutée.
Nos ingénieurs travaillent par exemple sur des produits fabriqués en France et au Canada. C’est-à-dire que ce sont des équipes tunisiennes qui travaillent sur certains documents techniques du nouvel avion de Bombardier, le global 7000 et 8000. Il leur a fallu une formation de plus de deux mois pour le faire au sein des équipes françaises.
Est-ce que l’image de la Tunisie aéronautique a été rétablie depuis les perturbations qui ont lieu ces deux dernières années?
Il est important de savoir que le groupe STELIA accorde une place essentielle à son implantation tunisienne dans sa stratégie.
A ce titre, la direction du groupe nous a demandé de lancer sans délai une étude pour agrandir l’usine de Mghira afin d’accroître notre capacité industrielle. Cette demande est une étape importante dans notre développement et constitue une nouvelle opportunité et une nouvelle marque de confiance du Groupe STELIA.
Nous visons donc en termes de délai un accroissement de notre activité en début d’année prochaine au plus tard.
Au-delà de ce parc qui s’auto-suffit à lui-même, avez-vous des fournisseurs tunisiens et est-ce que vous êtes ouverts sur des partenaires tunisiens?
Tout ce qui se rapporte à la structure de l’avion ne peut provenir que de fournisseurs qualifiés par le client. Il n’est pas permis d’en être autrement.
En revanche, pour les autres produits, le consommable, les services, nous en achetons pour une part importante en Tunisie auprès de fournisseurs locaux, soigneusement sélectionnés.
Votre nouvelle appellation est donc Stelia Tunisie? Quel est son plus?
AEROLIA est née en 2009 de la décision d’AIRBUS de faire fabriquer les pointes avant par une filiale.
Cette année, la fusion de deux filiales d’AIRBUS, AEROLIA et SOGERMA, donne naissance à STELIA. AEROLIA est spécialisée en aérostructures quand SOGERMA est active dans les aérostructures mais aussi les sièges techniques et les cabines.
STELIA présente ainsi une gamme plus large de produits. Après la fusion, le Groupe est devenu N°1 européen et N°3 mondial en aérostructures. Nous sommes devenus les co-leaders dans tout ce qui est sièges techniques et sommes le N°3 mondial pour les sièges cabine, pour le business et la Première classe. Cela veut dire qu’aujourd’hui nous avons une taille nous permettant d’être présents sur une grande partie des marchés
Précédemment, nos masses critiques étaient limitatives.
Le secteur de l’aéronautique est très important et si vous avez réussi en 5 ans à passer de l’installation à la fabrication, à l’exportation et à l’excellence, c’est que vraiment il y a quelque chose d’important qui se produit dans ce site. Et c’est aussi important pour la Tunisie. Sans vouloir tomber dans la suffisance, c’est la preuve que les Tunisiens évoluent vite et s’adaptent encore plus vite quand ils trouvent le cadre adéquat. Comment avez-vous réussi à gérer ressources humaines pour atteindre ce niveau?
Comme évoqué précédemment, nous avons aujourd’hui une demande pressante du Groupe STELIA de lancer les études pour une extension. STELIA n’a jamais envisagé de quitter la Tunisie ni ce Parc de 20 hectares dans lequel travaillent environ 1700 employés.
En 2014, le Parc a continué de grandir et à recruter. Cette année, nous avons la possibilité d’aller plus loin.
Nous avons la chance d’appartenir à un Groupe en bonne santé et en croissance.
A ces éléments, nous associons nos ressources humaines. Elles ont démontré leur capacité à se développer, à croître et à s’adapter. Nous avons été aidés pour cela, en plus des experts du Groupe, par une formation adaptée, dispensée par le Centre d’Excellence dans les Métiers de l’Industrie Aéronautique, sis à Mghira.
En ce qui concerne STELIA Tunisie, notre développement industriel passe par la stabilisation de nos activités et la confiance de nos clients. Depuis avril 2014, date de la signature d’un accord social global avec nos partenaires sociaux, nous œuvrons régulièrement pour maintenir un climat social apaisé.
Comment vous gérez le climat social?
Nous avons des réunions fréquentes avec les partenaires sociaux, nous échangeons, nous communiquons et nous essayons d’anticiper sur les questions sujettes à des questionnements de la part de notre personnel.
Nous sommes très attentifs et vigilants dès que des décisions engageant les uns et les autres doivent être prises.