Grande habileté tactique à traiter les grands déficits doublée d’une injonction sans appel aux chefs d’entreprise: investir sans plus tarder ou s’exposer. A la manière de Martin Scorsese il exprime son deal à l’adresse du G7 sous forme “d’une offre que le G7 ne pourra refuser“: sauver le rempart de la démocratie. Ministre des Finances est bien chancelier de l’échiquier. Et il semble avoir un coup d’avance.
Cela se passait au XVIIème forum international de notre confrère L’Economiste maghrébin, lequel souffle ses 25 bougies.
Le thème de l’édition de 2015 évoque tous les aspects liés au financement extérieur dans sa nécessité, ses variantes et ses limites. Le speech inaugural de Hédi Mechri, directeur du titre, écumait de dépit de voir que ce tigre promis à une croissance rugissante risquait de crouler sous le poids de la dette, des suites de cette effervescence qui ne retombe pas.
Comment cet eldorado de l’investissement, réduit à s’endetter pour survivre, se trouve impuissant à switcher de la dette extérieure vers les IDE et pouvoir se nourrir de son propre effort? Nécessité fait loi, dira-t-il en substance. Et puisqu’il faut s’endetter, comment, en usant des ficelles de l’ingénierie financière, en surchargeant la barque, on prend soin de ne pas la couler?
En écho à cet appel, Slim Chaker, ministre des Finances, développera un plaidoyer audacieux, tacticien et bien inspiré, prenant à contrepied toutes les recettes timorées reprises de-ci, de-là. C’est proprement renversant. Après tout, qui ne tente rien n’a rien.
Contours d’une road map qui semble tenir la route.
La dette par les chiffres: les raisons de son envolée
Voici en peu de chiffres comment le ministre des Finances dresse le tableau de l’emballement de la dette (en milliards de dinars tunisiens).
Comment comprendre l’emballement de la dette? L’explication fournie par Slim Chaker se détaille comme suit. La dette a fait la soudure budgétaire du fait d’un manque à gagner qu’il détaille ainsi:
– le déficit de croissance par rapport au taux moyen de 5% d’avant 2010 représente 32% de la dette actuelle;
– l’emballement du titre I, c’est-à-dire les dépenses de fonctionnement de l’Etat, avec notamment l’augmentation des salaires de la fonction publique de 6,7 milliards de dinars en 2010 à 10,5 en 2014, représente 25%;
– l’évasion fiscale et le commerce parallèle ainsi que la dépréciation du taux de change du dinar représentent le reste.
Du reste, concernant la dépréciation du dinar, le ministre soutient qu’une dévaluation de 10 millimes par rapport au dollar surenchérit la dette de 2 milliards de millimes. Il rappelle que le glissement du dinar contre dollar de 1,800 à 1,950 nous a siphonné 30 milliards, soit la création de 1.000 emplois partant d’un coût de 30.000 dinars par poste d’emploi.
Qu’est-ce que vous dites de ça? Une fois que l’on a compris les origines de la dette, comment les traiter?
Qu’est-ce que vous pouvez faire pour votre gouvernement? Investir !
Debout devant son pupitre, droit dans ses bottes, la mèche poivre et sel en bataille, le ministre des Finances harangue le gotha des affaires présent au forum. Et à travers ces figures de proue, son message s’adresse à toute la communauté d’hommes et de femmes d’affaires de Tunisie. Son message est facile à décrypter: ne vous laissez pas échauder par le terrorisme et l’insécurité.
Prenant une intonation à la JFK, il leur dit entre “quat’zyeux“: ne me demandez pas ce que votre gouvernement peut faire pour vous, mais j’attends que vous me disiez ce que vous allez faire pour votre gouvernement.
Même des verres épais n’arrivent pas à masquer le regard pétillant et impétueux du ministre qui aura manqué d’une heure son rendez-vous pour le conseil des ministres.
A contrepied de tous ceux qui apostrophent les hommes d’affaires, les assimilant à des profiteurs et chasseurs de primes, il élève le ton et leur tient un langage intelligent. Il s’adosse en cela à un principe de finance: Ce pays qui vous a éduqués et instruits a besoin d’un retour sur investissement: ne tardez pas à investir. Si vous vous lancez dans la bataille, les IDE suivront. Anticipant d’éventuelles réticences, Slim Chaker s’avancera de manière résolue.
On va réformer à fond la caisse ‘’Wathever it takes’’
L’Etat ne peut appeler à l’investissement sans améliorer l’environnement des affaires. Le ministre dira en s’affranchissant de toutes les réserves d’usage que l’Etat va réformer tous azimuts, quoiqu’il en coûtera. Là-dessus, le ministre se fera tacler par Habib Karaouli, président de la BAT (ne pas lire clan Ben Ali Trabelsi, mais Banque d’Affaires de Tunis, filiale de la STB), qui lui rappelle que charité bien ordonnée voudrait que l’Etat commence par indiquer le ton car, lui fait-il remarquer, l’Etat ne dépense que 38% de son budget d’investissement public. La situation dans les régions est telle que la riposte à cette carence ne peut venir que de la loi sur le PPP, dont le texte de loi, approuvé par le gouvernement, est devant l’ARP avec une gerbe d’autres textes dont celui du code des investissements et de la loi sur la concurrence et les faillites.
G7 : Sauver le soldat Tunisie
Rassurez-vous, l’Etat ne se dérobera pas à son rôle. Une fois que les investisseurs tunisiens seront mis en confiance et se remettront à investir, il lui sera facile de solliciter les investisseurs étrangers. A cette condition, il sera plausible de demander au G7 de mettre la main à la bourse pour participer au financement du nouveau modèle économique de la Tunisie.
Le seul antidote au terrorisme est la prospérité. Comment les pays du G7 peuvent-ils se résoudre à ne pas contribuer à la relance économique de la Tunisie?, s’interroge Slim Chaker. Le pays est à un tournant historique. La Tunisie, pour la première fois de son histoire indépendante, va faire l’arbitrage le plus douloureux en consacrant plus de ressources budgétaires à la sécurité qu’à l’éducation. N’est-ce pas le moment de sauver le soldat Tunisie, lui qui se dresse comme un bouclier contre la barbarie?
Ce péril guette les deux rives de la Méditerranée, il ne faut surtout pas l’oublier. Poste avancé de la démocratie, la Tunisie a parié depuis son indépendance sur l’émancipation de la femme, l’éducation publique gratuite et obligatoire, ce socle de valeurs de bon aloi qui garantit sa foi dans la démocratie. Si le G7 l’abandonne à son sort, le terrorisme rebondira inévitablement à l’intérieur de sa forteresse. La Tunisie est donc l’enceinte de sécurité commune. Que représente l’enveloppe de 120 milliards d’euros sur 10 ans, pour booster le nouveau modèle économique Tunisie? Une assurance-vie, qui plus est, récupérable. CQFD.