«Trop de sit-in, trop de grèves et nombre de perturbations qui ont touché des secteurs sensibles sans oublier les revendications injustifiées et les mouvements sauvages et non encadrés qui représentent une menace pour la paix sociale dans notre pays». C’est ainsi que s’est exprimée Wided Bouchamaoui, présidente de l’UTICA, lors de la Journée d’étude et de réflexion sur «La réalité de la situation économique en Tunisie et les pistes de la croissance» tenue mardi 12 mai.
Mme Bouchamaoui nous a déclaré, à l’occasion, que la centrale patronale ne peut en aucun cas se permettre, par principe et pour des raisons éthiques, de couvrir ou de défendre des entreprises qui ne paient pas leurs impôts, qui usent des moyens frauduleux ou qui ne respectent pas les droits des travailleurs dans le respect des lois et des conventions signées entre les partenaires sociaux. «Nous attendons aussi que notre vis-à-vis, l’UGTT, préserve le tissu entrepreneurial et les emplois en nous aidant à mettre fin à certains actes destructeurs pour notre économie et lesquels, parfois, menacent même la survie des fleurons de l’économie nationale. Nous considérons le tissu entrepreneurial privé comme un patrimoine national qui assure à tous les niveaux et nous pensons que nos vis-à-vis le savent aussi car de la survie de l’entreprise dépend aussi bien de la préservation de l’emploi que de la prospérité économique de notre Tunisie».
Nafaa Ennaiefer, président de la Commission économique de l’UTICA, est intervenu pour rappeler que le secteur privé est le plus grand employeur de la Tunisie, celui qui génère le plus de ressources en devises et le plus de ressources pour le trésor, et également celui qui contribue au développement de toutes les régions.
Hassen Zargouni, directeur général de Sigma Conseil, a révélé des chiffres assez édifiants à ce propos: «80% des emplois sont créés par secteur privé, soit 2,66 millions, avec 70.000 emplois additionnels par an. 30.000 entreprises sont fondées par an alors que le secteur public emploie 640.000 personnes».
Et osons le dire, le secteur public est surpeuplé par des milliers de fonctionnaires qui pointent pour ne rien faire. Les leaders politiques qui se pavanent tout le temps devant les télévisions sont-ils seulement conscients que la plus grande partie du budget de l’Etat va à la masse salariale, ce qui empêche l’Etat d’investir dans les projets créateurs de richesses? Ceux-là même qui n’hésitent pas à recourir aux «capitalistes» pour financer leurs campagnes électorales mais qui crient au scandale lorsqu’on parle de partenariat public/privé face à l’impuissance de l’Etat à faire face à toutes les demandes et revendications qu’ils nourrissent par leurs discours révolutionnaires.
En 2014, l’investissement a représenté moins de 20% du PIB, a précisé Hassen Zargouni. L’explication est simple et est apportée par Nafaa Ennaiefer: «Les nationaux ont maintenu le niveau de l’investissement local malgré l’insécurité, les tensions sociales et les risques. Malgré aussi l’abus des grèves motivées (le droit de grève est en train de se transformer en obligation de grève) et non motivées et les problèmes logistiques qui ont constitué un frein à l’investissement dans les régions et notamment les IDE».
Ces abus ont créé un terrain favorable à tout type de contestation et ont affaibli l’Etat, empêchant le gouvernement et les autorités régionales de travailler, affectant l’image de la Tunisie et ouvrant la porte à des manipulations néfastes pour le pays. Pire, les discours publics de certains leaders diabolisent l’entrepreneur et condamnent la réussite donnant par là même un coup fatal à la culture du mérite et du travail.
Les clichés clinquants et populistes sur l’entrepreneuriat et les créateurs de richesses
Fayçal Derbel, expert économique, n’a pas manqué de souligner le ridicule des déclarations de certains responsables censés être dans leurs propos à propos du secteur privé. On n’entendrait même pas cela dans la Chine de Mao Tse Toung. Il a d’ailleurs décrit la situation vécue aujourd’hui par la Tunisie de calvaire: «Un dirigeant politique est stupéfait que plusieurs mois après la révolution des hommes d’affaires continuent à circuler librement dans leur 4×4. Un député fait état d’hommes d’affaires improbes parce qu’ils ont des crédits bancaires (selon une liste qui date de 2003), et cerise sur le gâteau, l’affaire HSBC qui a fait tâche d’huile pour couvrir aussi bien des présumés fautifs que des personnes en règle».
Ce qui est choquant est que ces mêmes dirigeants politiques qui veulent spolier les entrepreneurs de leurs biens, rappelant en cela la célèbre formule de Kadhafi, «Al baytou lisakinihi» (le logement appartient à celui qui l’habite), habitent eux-mêmes dans des résidences luxueuses et conduisent des voitures encore plus luxueuses. La question est de savoir s’ils le méritent et si leurs biens sont bien acquis ou non.
Les idées qu’on est en train de diffuser en Tunisie sont devenues dangereuses pour le pays d’autant plus que, comme précisé par Nafaa Ennaiefer, «l’ANC avait refusé de considérer la liberté de l’initiative économique et celle du travail comme des valeurs constitutionnelles. Que la fiscalité est anarchique, favorise l’économie informelle et accentue la pression sur le secteur formel et que l’entreprise est absente dans la discussion des réformes en relation avec les ressources humaines».
Sauver la Tunisie, oui mais comment?
Que faire pour secourir le pays? Il faut commencer par secouer les mentalités dont celles prônant la gestion des richesses régionales par leurs originaires ou plus grave encore les slogans qu’on brandit aujourd’hui et qui appellent à partager les richesses à parts égales entre tous les Tunisiens. Pire, il va falloir lutter aujourd’hui contre la culture qui décrète que tout acte commis par un travailleur revêt un titre de noblesse y compris ceux destructeurs pour le tissu entrepreneurial. Nos politiciens n’arrêtent pas de jouer aux Robins des Bois en systématisant les soutiens aveugles aux mouvements contestataires des fois injustifiés.
Nous sommes en 1917, en pleine Révolution bolchévique. La Russie est, depuis près de 30 ans, devenue un pays libéral tout comme la Chine. Mais encore faut-il avoir la clairvoyance et la vision pour comprendre les enjeux économiques nationaux et mondiaux!
Aujourd’hui, les temps sont aux actions positives et aux positions audacieuses. L’Etat doit revenir en tant qu’investisseur important mais sa capacité d’exécution, comme indiqué par Hassen Zargouni, est faible, d’où l’importance du PPP. Car il faut aussi rappeler que le secteur privé contribue à hauteur de 70% du PIB et que l’investissement privé a atteint 9,5 milliards de dinars en 2014, ce qui vaut 56,6% du total investissement (49,4% investissement privé local et 10,8% IDE).
Pour être sauvée, la Tunisie a aussi besoin d’un code d’investissements ambitieux, compétitif et attractif et surtout le repositionnement -culturellement parlant- de l’entreprise dans l’esprit des Tunisiens où qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. «L’entreprise est le seul lieu où se crée la richesse et l’emploi pérenne. L’avenir de la Tunisie se joue dans le présent de ses entreprises. Certains sont en train de jouer la carte anti-entreprise et ignorent qu’ils agissent ainsi contre l’intérêt du pays. Il faut être solidaire avec les entreprises qui investissent dans les régions, créent de l’emploi et exportent malgré les difficultés», appelle Nafaa Ennaifer.
Cela ne sera pas aussi facile que nous le pensons mais c’est réalisable même si Fayçal Derbel déplore un «déficit des libertés économiques», ce qui est une défaillance constitutionnelle au vu de l’absence d’un article instaurant la liberté d’entreprendre dans la Constitution. «Nous ne pouvons libérer la croissance qu’en boostant l’investissement et l’initiative privée pour réduire le chômage et résorber la fracture sociale, car dans les pays où le taux d’investissement est élevé, le taux de chômage est faible et vice versa».
Après avoir perdu 12 places, passant de la 54ème place en 2012 à la 66ème en 2013, la Tunisie a tout intérêt à améliorer son climat d’affaire. «Un climat caractérisé par trop de freins à l’investissement, une réglementation rigide et des procédures administratives obsolètes», souligne Fayçal Derbel, qui déplore le constat relevé par certains organismes aujourd’hui à propos de notre pays: «La Tunisie se caractérise par un cadre réglementaire protectionniste qui réduit considérablement la concurrence et l’investissement privé».
Il ajoute: «Les secteurs dans lesquels l’investissement est confronté aux restrictions représentent 46% environ de l’économie tunisienne. Soit un manque à gagner de 0,9% du PIB, selon étude ITCEQ. Dans d’autres pays, et d’après une étude de la Banque mondiale, «le Code de travail ne favorise pas les investissements dans les activités à forte intensité de main-d’œuvre et contribue paradoxalement à la précarité de l’emploi». Ce qui impacte négativement l’esprit d’initiative et donc l’investissement, regrette M. Derbel.
Alors que dans les autres pays, le terme «autorisation» a complètement cédé la place à celui de «cahier de charges», l’on recense en Tunisie 162 activités réglementées (soit 25%) et qui sont soumises à l’autorisation préalable de l’autorité administrative. Avis aux jaloux pour la souveraineté nationale inquiets que la Tunisie subisse un nouveau mode de colonisation (sic). Ils devraient réviser leurs manuels économiques et surtout s’informer sur l’évolution du contexte économique international.