Le projet de loi sur le partenariat public/privé (PPP) sera examiné par la Commission des finances de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), avant d’être soumis, mi-juin à une plénière de l’institution parlementaire.
Mongi Rahoui, son président, affirme que l’examen de cette loi est une priorité pour la commission parlementaire des finances, et prévoit son adoption après l’exclusion de certains secteurs de l’application de cette loi. Néanmoins, une nouvelle version de ce projet de loi devrait être soumise par le gouvernement à l’ARP, a-t-il déclaré, étant donné que l’ancienne version date de 2012.
Le premier article du projet de loi dans sa version 2012, stipule la mise en place d’un cadre général régissant les contrats de partenariat entre les secteurs public et privé, la fixation des principes de base de leur conclusion, la délimitation du système de leur application et des moyens de contrôle, ainsi que de mise à l’arrêt, outre l’identification du système juridique des biens y afférent. Or, ce partenariat public/privé, adopté dans plusieurs pays et même en Tunisie où il n’est pas régi par des textes précis, ne jouit pas d’un consensus et fait plutôt l’objet d’une polémique, depuis l’annonce de l’élaboration du projet de loi en rapport.
Le PPP, une privatisation déguisée
Du côté de l’Union générale du travail de Tunisie (UGTT), les experts estiment que l’on n’est pas encore prêts pour cette formule. En effet, Mongi Smaili, expert à l’UGTT, est convaincu que le PPP est “une sorte de privatisation déguisée”. Pire, quand ce partenariat touche les services publics et vitaux tels que la santé, l’enseignement, l’eau et l’électricité, “cela devient dangereux”.
D’après lui, les contrats entre le public et le privé vont de la construction jusqu’à l’exploitation et peuvent avoir, dans ce cas, des répercussions sur les prix des services offerts aux citoyens qui souffrent, déjà, d’un pouvoir d’achat affaibli.
Concernant le PPP avec un investisseur étranger, Smaili a attiré l’attention sur l’absence du partage de risques. Aussi en cas de faillite du partenaire, l’Etat subira les dégâts pour entraîner ensuite dans son sillage le contribuable. Il cite, à ce propos, l’exemple d’un investissement étranger en matière de distribution de l’eau à Buenos Aires, en Argentine, dans le cadre du PPP, par une société américaine figurant parmi les 10 grandes sociétés cotées en Bourse, mais laquelle a fait faillite, ce qui a causé des perturbations au niveau de la distribution de l’eau.
Par ailleurs, la conjoncture actuelle ne favorise pas ce genre de partenariat. “Il faut retirer provisoirement le projet de loi portant sur le PPP jusqu’à l’assainissement du climat des affaires qui n’est pas encore transparent”, a-t-il déploré.
Une pensée également aux petites et moyennes entreprises (PME), épine dorsale de l’économie tunisienne, qui seront exclues pour laisser la place aux grandes sociétés lorsqu’il s’agira de méga-projets, a-t-il dit.
Et d’ajouter: “il y a une opacité déjà dans les contrats signés entre l’Etat et les sociétés privées”, plaidant pour l’organisation d’un débat national sur le PPP. L’expert cite des exemples d’échec du partenariat public/privé dans plusieurs pays, telle que la Grande-Bretagne, rappelant, à ce titre, le projet d’approvisionnement en eau potable et d’évacuation des eaux usées. Après le licenciement de la moitié des travailleurs en vue d’une réduction du coût, la société partenaire s’est trouvée dans l’incapacité de gérer le projet et l’Etat britannique a dû le reprendre, a-t-il expliqué.
Des PPP réussis…
Pour les privés, le PPP est une opportunité pour bien gérer les projets, innover et respecter les délais d’exécution. Le président de la Fédération nationale de l’électricité et de l’électronique “FEDELEC”, relevant de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), Abdelaziz Halleb, a déclaré à l’agence TAP que la force de ce partenariat réside en “la négociation au démarrage et le contrôle après”. Et que le PPP a démontré son efficacité dans plusieurs pays même s’il a échoué dans d’autres.
En effet, pour assurer sa réussite, “il faut juste mettre en place des structures spécialisées compétentes afin d’éviter les dérapages”, préconise-t-il. Les échecs sont toujours liés à un manque de rigueur au niveau de la conception et du suivi, selon ses dires.
D’après lui, l’intégration du privé permet de remédier aux retards et surcoûts ainsi qu’au manque d’innovation, accusant, à ce titre, l’administration de reproduire les mêmes schémas et constructions, sans créativité aucune.
Le plus du privé sera également ressenti au niveau de la bonne gestion, a encore déclaré Halleb, indiquant qu’en Tunisie il existe déjà des projets de PPP qui ont réussi, tels que le transport commun privé dont les tarifs sont fixés par l’Etat. Les centrales d’électricité qui vendent l’électricité à la STEG à des tarifs et selon un planning défini par un cahier des charges prévoyant la pénalisation de l’investisseur en cas de rupture de l’approvisionnement, illustrent également la réussite du PPP, selon Halleb.
Il a aussi évoqué les gains en qualité de services qu’offre le PPP, rappelant, dans ce cadre, les centres de formation professionnelle dont les sites d’implantation, les spécialités, les programmes et le recrutement des jeunes sont convenues avec les fédérations professionnelles.
Il s’agit, en outre des centres techniques dont l’investissement est public mais le centre est géré par un conseil d’administration dont les 3/4 sont des privés, ce partenariat favorisant la correspondance de l’activité du centre aux besoins des entreprises, a-t-il avancé.
Selon Abdelaziz Halleb, il faut opter pour le PPP, car ce dernier permet de renforcer la redevabilité des résultats des projets. “Si le projet est réalisé par un privé, l’Etat contrôle, évalue et pénalise, mais s’il est parachevé par des structures publiques, celles-ci ne sont pas souvent pénalisées en cas d’échec, et ne se trouvent pas dans l’obligation de rendre des comptes”.
Améliorer la version actuelle du projet de loi PPP
Néanmoins, Halleb estime que la version actuelle du projet de loi sur le PPP n’est pas une loi-cadre comportant des mécanismes clairs de négociations, la jugeant “trop détaillée” et proposant d’en réduire les articles de 50 à 20, en plus de la publication de décrets d’application y afférents.
Pour l’UTICA, la loi sur le PPP est un cadre qui permet de réaliser des projets d’infrastructure pour répondre à des besoins d’acheteurs publics ou à des besoins nationaux, tels que la création d’emplois, l’impulsion de l’export, le développement culturel.
La loi proposée ne vise, cependant, pas à réaliser les aspirations précitées et se limite à la satisfaction des besoins d’un acheteur public, réduisant ainsi la diversité des projets et se limitant à ceux d’infrastructure.
Pour Moez Joudi, le projet portant sur le PPP est “une très bonne initiative”. “Ce mode de partenariat a tendance à assouplir les procédures et à accélérer la mise en place et le développement d’un ensemble de projets de développement”, a-t-il dit, dans un entretien accordé à l’agence TAP.
Selon Joudi, “sans le PPP, on va assister encore à trop de lourdeurs et de handicaps dans la conception et la réalisation des projets de développement en Tunisie”. “Avec le PPP, l’Etat peut améliorer ses performances et se défaire un peu des procédures longues et coûteuses qui, parfois, n’aboutissent à rien”, a-t-il développé.
Revenant sur la question des risques du PPP de porter atteinte à la souveraineté de l’Etat, il a fait remarquer que des projets PPP ont été réalisés dans plusieurs pays et “ça n’a touché en aucun cas leur souveraineté”. “Idem pour la Tunisie, il n’y aura pas de risques à ce niveau surtout dans le cadre de la nouvelle Constitution et d’un fonctionnement des institutions de l’Etat”. Selon lui, il faut juste insister sur les règles de transparence et de bonne gouvernance qui régissent le PPP, car des dépassements et des conflits d’intérêt peuvent entraver la bonne marche de ce partenariat.