La confirmation par l’agence de rating Moody’s, de la notation souveraine de la Tunisie à BA3, avec une amélioration de perspectives de négatives à stables, n’aura pas d’impact significatif sur l’économie tunisienne, considère Moez LABIDI, professeur de finance internationale.
Dans une interview accordée à l’agence TAP, il affirme que le changement de perspectives aura des conséquences minimes, sur les IDE. Il faudrait attendre au moins le changement de la note pour que les investisseurs étrangers puissent changer sérieusement de comportement.
Quelle est votre appréciation de la notation BA3 octroyée par Moody’s à la Tunisie?
Moez LABIDI: L’agence de notation américaine Moody’s a changé les perspectives de note de la Tunisie de «négatives» à «stables», mais sans toucher au rang de la note. Ainsi, Moody’s rejoint Fitch Ratings qui a ouvert le bal en mars 2015.
Ce changement d’«outlook» puise ses racines dans un certain nombre de facteurs dont, primo, la réussite institutionnelle, avec l’organisation d’élections démocratiques crédibles dignes d’une grande démocratie.
Secundo, la sortie de l’impasse financière, puisque les barrières au financement externe s’estompent, comme l’a bien confirmé la dernière sortie de la Tunisie sur le marché international.
Tertio, la culture du consensus s’est imposée aujourd’hui comme une spécificité tunisienne (par rapport aux autres pays du printemps arabes) et a permis la formation d’un gouvernement d’union nationale où des formations laïques cohabitent avec un parti islamiste, Ennahdha.
Toutefois, le géant de la notation américain ne semble pas être convaincu d’aller vers une amélioration de la note. Le retard pris dans les réformes (secteur bancaire, fiscalité, PPP), la multiplication des problèmes sécuritaires et des fondamentaux économiques qui n’arrivent pas à s’extirper du rouge (un taux de croissance de 1,7% pour le premier trimestre, un taux inflation à 5,7%, une forte dépendance des banques du financement de la BCT, un niveau alarmant du déficit courant, un budget criblé de majorations salariales, la faiblesse de l’investissement privé…) expliquent sa prudence.
Quels seront les impacts de cette notation sur l’économie en général et plus précisément sur l’investissement?
Certes, cette modification de la perspective représente un pas vers la normalisation de la note tunisienne, qui sombre dans le «Speculative grade» chez Standard & Poor’s, depuis le 23 mai 2012, chez Fitch Ratings depuis le 11 décembre 2012 et chez Moody’s, depuis le 28 février 2013. Mais ses implications restent limitées. D’ailleurs, le même changement de perspectives, observé dans le communiqué de Fitch Ratings, en mars 2015, n’a pas eu un impact significatif.
Pour les IDE, le changement de perspectives aura des conséquences minimes. Il faudrait attendre au moins le changement de la note pour que les investisseurs étrangers puissent changer sérieusement de comportement.
D’autres variables continuent de plomber les décisions d’investissement de ces derniers. Face aux problèmes sécuritaires et au tsunami des revendications sociales, l’attentisme reste de mise.
Ceci pourrait être rassurant pour les Américains qui ont donné leur aval pour de nouvelles garanties sur les émissions du Trésor tunisien sur le marché international. Et cela pourrait déclencher une dynamique d’anticipation sur des améliorations futures de la note de la Tunisie. Mais, il serait très difficile de s’attendre à un impact positif significatif suite à un simple changement des perspectives de la note.
Le FMI a accordé un délai de 7 mois à la Tunisie pour concrétiser ses réformes. Cette notation aura-t-elle un effet sur la décision du fonds?
Je reste convaincu que le FMI a toujours une longueur d’avance sur les agences de rating, en matière d’informations économiques sur les pays membres. Du coup, ce sont les communiqués du FMI qui impactent fortement les décisions des agences de rating et non le contraire. Ainsi, c’est uniquement le démarrage effectif des réformes dans le secteur bancaire qui pourrait amener le FMI à revenir sur sa décision.
Tant que l’audace politique n’est pas au rendez-vous, tant que le discours populiste trouve des adeptes dans la classe politique et tant que le syndicalisme ne déserte pas le terrain des revendications déstabilisantes pour les finances publiques, la dynamique de réforme restera grippée et notre séjour dans le «speculative grade land» risque de durer encore pour une bonne période.