Le gouvernement Essid a été fortement critiqué, lors de l’annonce de sa composition, par des voix locales, pour n’avoir pas prévu un département ministériel dédié à la bonne gouvernance et à la lutte contre la corruption. Aujourd’hui, des partenaires étrangers et bailleurs de fonds relayent la fronde locale et déplorent le peu d’intérêt accordé à la lutte contre la corruption.
Zoom sur une pression qui se fait de plus en plus de manière forte.
Il faut dire de prime abord que cette décision était malheureuse par son timing. Elle est intervenue à un moment où la Tunisie fait l’objet d’un processus d’évaluation du degré de conformité de sa réglementation anti-corruption aux dispositions de la convention de 2003 des Nations unies en matière de lutte contre la corruption, convention à laquelle la Tunisie a adhéré.
Elle est prise, également, à un moment où d’importants chantiers sont ouverts en matière de lutte contre la révolution, s’agissant notamment de projets de lois soumis actuellement à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Parmi ceux-ci figurent les projets de loi relatifs au renforcement des systèmes de gouvernance et d’intégrité des entreprises publiques, un projet de loi sur l’enrichissement illicite, un projet de loi sur la protection des dénonciateurs et le projet de code de conduite et d’éthique de l’agent public.
Autant de chantiers qui nécessitent, pour leur consécration au quotidien, une forte volonté politique, un suivi continu et un encadrement institutionnel efficace que seule une structure anti-corruption, de la taille d’un ministère et d’un secrétariat d’Etat, peut garantir.
Absence de volonté politique des gouvernants
Kamel Ayadi, président et fondateur de la Commission permanente de la lutte contre la corruption à la FMOI (Fédération mondiale des organisations d’ingénieurs) et représentant pour la Région MENA du Centre britannique de la lutte contre la corruption, a vu, à l’époque, dans cette décision, une volonté politique d’abandonner la lutte contre la corruption.
Pour lui, la non-réaction des quatre partis dont est issu le gouvernement Habib Essid à l’abandon du département anti-corruption est le moins qu’on puisse dire surprenante. «Il semble que l’inexistence de ce département ne les gêne pas outre mesure et que la lutte contre la corruption n’est pas une de leurs priorités», a-t-il-dit avant d’ajouter: «en matière de lutte contre la corruption, il existe aujourd’hui un vide institutionnel qui risque de donner un message contreproductif aux investisseurs, bailleurs de fonds et partenaires de la Tunisie».
Pour les partenaires étrangers, la lutte contre la corruption est une priorité
Trois mois après, les craintes de Kamel Ayadi commencent à se confirmer. De hautes personnalités étrangères et chambres de commerce mixtes ont relayé les experts locaux pour faire pression sur le gouvernement Essid et surtout pour lui rappeler que la priorité des priorités de son équipe est de mener une guerre sans merci contre la corruption qui gangrène tous les rouages du pays.
Les premiers à s’exprimer sur ce thème sont les Américains. Mettant à profit son invitation à une conférence sur l’investissement et l’entrepreneuriat (Tunis, 5 mars 2015), la secrétaire au Commerce américaine, Penny Pritzker, ne s’était pas contentée d’évoquer la corruption dans le pays. Elle était allée plus loin en “dictant“ au gouvernement la recette qu’il doit appliquer faute de quoi aucun investisseur américain ne viendrait en Tunisie. Il s’agit pour elle d’engager, immédiatement, «des réformes dans 4 volets qui permettront d’installer un environnement favorable pour l’investissement: le code de l’investissement, le secteur bancaire, le système de taxation fiscale et douanière et le partenariat public/privé. Le pays doit parvenir à intégrer l’économie parallèle dans le circuit formel».
Penny Pritzker a réitéré cette recette lors de la récente visite que vient d’effectuer le président Béji Caïd Essebsi aux Etats-Unis.
La deuxième haute personnalité à s’exprimer de manière directe sur le sujet de la corruption n’est autre que le président allemand, Joachim Gauck.
Lors d’une visite officielle de trois jours en Tunisie (fin avril 2015), le président allemand avait mis en garde, lors de sa rencontre avec le chef du gouvernement Habib Essid, contre la corruption et la bureaucratie administratives qui risquent, selon ses dires, de bloquer les investissements allemands dans notre pays.
Les bailleurs de fonds, de plus en plus menaçants
Deux semaines après, le Fonds monétaire international (FMI) annonce, par la voix de son conseil administration, avoir accordé à la Tunisie un délai de 7 mois, plus exactement jusqu’au 31 décembre 2015, pour «appliquer les réformes et les engagements pris dans le cadre de l’accord conclu avec le pays». Ces réformes concernent des secteurs réputés pour être fortement corrompus -l’environnement des affaires, les banques, la fiscalité, la douane et le commerce parallèle.
Décryptage: il s’agit bel et bien d’un avertissement.
L’offshore par le canal des Chambres mixtes s’est penché à son tour sur le dossier de la corruption. Dans son enquête annuelle sur le degré de satisfaction des entreprises offshore allemandes implantées en Tunisie, la Chambre mixte tuniso-allemande relève que 16,1% des sociétés sondées suggèrent au gouvernement tunisien de lutter contre la corruption.
Moralité : Le message est clair. Le gouvernement doit engager les réformes dans les niches corrompues.
Au-delà de ces témoignages, il semble que la pression étrangère et locale sur le gouvernement Essid commence à se faire de manière forte. Ce gouvernement, qui a fait jusque-là la sourde oreille aux critiques locales, n’a d’autre choix que d’écouter ses maîtres étrangers et d’initier, au plus vite, les réformes précitées fussent-elles douloureuses pour la mafia politico-financière avec laquelle il sous-traite. .